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Manque (Crave)

mise en scène Antonia Buresi

: La création vidéo

Note de la réalisatrice Marie-Ange Luciani

Lorsqu’Antonia m’a proposé d’imaginer un travail vidéo qui s’intégrerait à sa mise en scène de Manque de Sarah Kane, l’idée s’est imposée immédiatement : il fallait un visage, et précisément un visage de femme. Ce visage, et plus généralement cette femme serait par les multiples possibles et interactions que nous offrirait la scène, une personnification du Manque par cette idée de fantasme, de désir, qu’il véhicule.
Personnage absent de l’espace scénique, il est une fiction qui tisse des liens imaginaires avec l’ici et le maintenant de la scène. Elle agit sur les acteurs ou à l’inverse ce sont eux qui conditionnent son statut de fiction. La vidéo vient ici perturber les frontières du réel en même temps qu’elle ouvre les possibles du temps et de l’espace, un ailleurs dans l’ici et maintenant de l’espace du jeu.


Il faudrait que l’image parce qu’elle est aporétique par essence, ouvre l’espace du manque. Manque à voir, à connaître, à comprendre. L’image ici ne doit pas être tentée par la narration, mais doit exposer son opacité, son illisibilité, reflet de ce qui se dit, s’entend, se montre et se joue dans l’espace scénique.
Ouvrir un espace anachronique, « agéographique », l’espace où le manque se définirait comme vérité du voir, comme fondement de notre rapport au monde.
Je voudrais travailler sur la diversité des supports : D’abord le SUPER 8, pour le rapport au temps qu’il dessine, quelque chose qui vient de loin, la nostalgie révélée par le grain, les visages, la trace de la vie mais sans le son. La trace du temps qui passe.
La HD CAM, avec sa netteté, son immédiateté, le présent ici et maintenant, l’effacement des frontières entre le vivant et la fiction. Tenter vainement de reconstruire une unité.
Faire le constat des apories au fondement de notre être. Vivre avec, mais aussi jouer des outils pour construire un semblant d’unité. Révéler et rétablir le manque, la perte de l’image.
Dans cet ensemble « vivant »(l’espace scénique) / « fiction »(l’espace filmique), chaque chose cherche sa place, s’agence et se ré-agence. Tout agit dans une impossible unicité et homogénéité. Les croisements font se développer un espace hybride fait de sons, d’images, de mots qui ne cesse de substituer une chose à une autre en cherchant à libérer des espaces d’où parler, d’où agir.
L’image ici, élément intrinsèque de l’espace scénique, doit aller dans le sens de ces mouvements polyphoniques, cacophoniques amenés par la partition de Sarah Kane. Prolonger le trouble, l’illisibilité au-delà du présent immédiat de la scène, ouvrir un espace qui, par l’image, déborde les limites de la scène et fait exploser les frontières. Il faudrait ajouter enfin, qu’il n’y a pas d’histoire à proprement parler, il y a une présence filmée, qui ne s’inscrit pas dans une progression narrative, ce qui permet d’ouvrir des voies d’expérimentation multiples et de les superposer.Cette absence de narration, de chronologie va permettre d’ouvrir un espace d’absolue liberté d’ou percera les morceaux multiples d un moi perdu en lui-même. Comme Sarah Kane, il s’agira par la fiction de creuser cette quête absolue de vérité qui passe le constat d’un plus d’un au fondement de notre être. Il y a chez Sarah Kane cette obsession du présent, cette tentative désespérée de vouloir le saisir. Le constat douloureux de son impossible appropriation et restitution conduit irrémédiablement à la disparition. Ce sont des pistes que le travail de la vidéo tentera d’explorer. La femme est dans un espace non identifié: ni domestique, ni extérieur…un espace vide. Elle se meut selon une logique intime et arbitraire. Elle n’est rattachée à aucune activité « réelle », c'est-à-dire que son action se réduit aux mouvements de son corps, à l’élasticité de son visage et à la variation de ses émotions : c’est une femme/un visage paysage. Il s’agit d’utiliser différents procédés cinématographiques, (le cut, le plan séquence, le plan fixe) mêlés à différentes valeurs de plans, qui au montage vont imposer des variations temporelles particulières.
La durée : Le plan séquence, le présent absolu : ce n’est plus l’action qui fait l’événement mais c’est la présence qui est événement. Il y aura de long plan fixe sur son visage, comme si l’on voulait travailler au scalpel la naissance de l’expression.
Le cut :Intrusion d’images, inserts, apparition/disparition.
L’absence de chronologie permet de jouer avec les heurts temporels, rien n’est raccordable, ne permet de construire une histoire, mais au contraire tout est là, voulant exister en même temps.
La répétition : résurgences et « revenances », un temps qui se répète, un présent absolu qui refuse ou empêche tout recours à une chronologie, mais ouvre le temps du même.

Marie-Ange Luciani

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