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Les relations de Claire

+ d'infos sur le texte de Dea Loher traduit par Laurent Muhleisen
mise en scène Michel Raskine

: Au fond de la nuit

Quelle que soit la pièce sur laquelle il travaille, Michel Raskine y voit la vie. La vie de l’instant, brutale et même féroce, absurde et dérisoire. Sinon, il ne la monte pas. Son souci n’est pas de découvrir le classique de demain, LE chef d’oeuvre impérissable. Pour la raison, dit-il : “que ni l’auteur, ni le metteur en scène, ni les acteurs, ni les spectateurs, ni les journalistes, commentateurs, exégètes, personne n’est en mesure de dire si un texte nouveau restera dans l’histoire. Je crois à un théâtre de l’immédiateté, ce qu’on peut nommer aussi théâtre expérimental, de laboratoire, de barricades, d’agit-prop... Les définitions sont multiples. Ce que je cherche d’abord et avant tout, c’est une histoire “actuelle”. Or, Dea Loher a écrit Les Relations de Claire il y a deux ou trois ans. Je l’ai mise en chantier voilà environ un an et demi. Mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel est que, sous une forme relativement classique, elle parle d’une brisure, d’une faille. Qu’elle raconte le désarroi suicidaire d’une jeunesse sans but ni avenir. Cette jeunesse qui, aujourd’hui, est prête à tout briser pour se trouver une porte de sortie (ou plusieurs).
Claire est une jeune femme parfaitement intégrée : elle n’est pas chômeuse, elle a un emploi, une famille, un amant. Elle bénéficie d’une apparente stabilité sociale et affective, qu’elle va détruire pas à pas. Cette situation théâtrale n’est pas nouvelle. Mais cette fois, la société n’est pas seule responsable de l’inexorable chute. Claire elle-même y est pour beaucoup. D’une certaine manière, elle se débrouille pour perdre son travail, pour se défaire de son identité sociale.
À partir de là, dans une sorte d’enchaînement fatal, elle se dépouille de tout, détruit peu à peu ses relations au monde, à son entourage. Doucement, méthodiquement, elle se laisse couler au fond de la nuit, et dans le même temps y entraîne ses proches. C’est-à-dire que son refus des situations acquises agit comme un virus, qui contamine son entourage, qui révèle à chacun son état d’insatisfaction.
Le théâtre de Dea Loher, d’une manière générale, tourne autour d’un personnage central : Barbe-Bleue (Barbe Bleue, espoir des femmes), Médée (Manhattan Medea), Adam (Adam Geist)... Ici, même si Claire mène le jeu, les autres protagonistes sont également importants. La pièce pourrait s’appeler Les Relations de Tomas ou Les Relations d’Irène.
Je m’intéresse à Dea Loher, entre autres parce qu’elle a compris une chose : au théâtre, les comédies n’existent que fondées sur le tragique. Seul le drame nous intéresse. En quelque sorte, elle écrit des “drames sociaux”. Mais si je l’aime autant, c’est pour la virulence, la prodigieuse intelligence de son humour. Le sien, et surtout celui de ses personnages, à qui elle donne un regard malin sur eux-mêmes et sur les situations qu’ils traversent. Sans cette dynamique, sans cette magnifique énergie vitale, on se retrouverait dans le bon vieux théâtre à thèse.
Les personnages de Dea Loher ne baissent jamais la tête ni les épaules. Jamais ils ne regardent en arrière. Ils foncent, provoquent la débâcle, la traversent avec une sorte d’ardeur joyeuse. Il ne s’agit pas de tomber dans le cliché de l’héroïne qui “incarnerait” l’Allemagne, mais je ne peux m’empêcher de penser aux formidables figures féminines chez Brecht, Manfred Karge ou Helma Sanders et chez Fassbinder aussi bien sûr.
Claire va jusqu’au bout de ce qu’elle a entrepris. Même si au bout, il y a le suicide. Dont elle est sauvée in extremis par un personnage étrange. Un Chinois qui écorche le langage, mais est capable de citer les grands poètes, qui la connaît, la suit, intervient, la guide sur son chemin... Un ange gardien en quelque sorte.
Cela dit, quand on emploie ce genre de terminologie, quand on parle d’ange gardien, de chute, de descente aux enfers, de chemin de croix, voire de passion, il faut essayer d’en ôter toute connotation religieuse. Le théâtre de Dea Loher est beaucoup plus concret, plus laïque.
Ce Chinois, je le vois comme un stéréotype, un masque. Il n’est pas le narrateur, non. Pas celui qui sait tout, pas forcément Dieu. Mais un être à part, qui incarnerait à lui seul le théâtre dans sa forme la plus élaborée. Il est “le mystère”.
Il n’a pas de nom, est là pour faire basculer ces personnages sociologiquement bien définis dans une autre dimension. Pour empêcher la pièce de glisser vers le “boulevard chic”. Pour écarter toute tentation réaliste. D’ailleurs, le décor s’inspire très étroitement de la peinture expressionniste, de sa brutalité explosive, franche, ludique, de ses couleurs tranchées... Les sombres Relations de Claire , sont un spectacle très… en couleurs !”


Propos recueillis par Colette Godard
Journal du Théâtre de la Ville, Paris

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