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Les Atomics

+ d'infos sur le texte de Guy Alloucherie
mise en scène Guy Alloucherie

: Note d’intention

Les Atomics, une réflexion sur le long travail de Veillées mené par la compagnie depuis bientôt sept ans. Un texte dialogué qui raconterait l’épopée des Veillées, un spectacle qui parlerait des gens que nous avons rencontrés dans les quartiers où nous avons travaillé. Nous tenterons dans le jeu, dans le texte, dans l’écriture d’expliquer et de rendre compte de la nécessité pour la compagnie de faire ce travail de rencontres, de questionnements avec les populations des quartiers populaires (principalement).


Pourquoi on a décidé un jour de sortir de nos salles de spectacle et de faire du porte-à-porte pour demander aux gens ce qu’ils pensaient de la présence d’une troupe d’artistes dans un quartier et comment on pourrait ensemble inventer des formes d’art où les gens se sentiraient attirés, concernés, impliqués dans ce qui s’y dit et par ce qui s’y fait.


Les Atomics comme un retour sur les Veillées. Revenir sur les veillées. Tout ce travail qu’on a fait depuis des années d’abord sur le 11/19 à Loos en Gohelle aux côtés de Culture Commune et ensuite dans un grand nombre de quartiers populaires en France et à l’étranger. Les Veillées c'est un film-spectacle dont les personnages principaux sont les habitants des quartiers.


On va aller fouiller dans toutes les images et les textes qu’on a écrits sur les Veillées (www.hvdz.org/blog). Depuis sept ans. Des histoires, des petites et des grandes histoires. Pour faire le spectacle des Atomics. Ça fait un sacré paquet d’images et d’histoires…


L’histoire pourrait raconter en partie qu’on ferait un film qui mettrait en scène des oeuvres qui seraient exposées au Louvre-Lens qui devrait voir le jour dans les années à venir. Et dans les oeuvres exposées on découvrirait que l’artiste a peint des gens des quartiers. Le Caravage, Le Tintoret, Delacroix. On verrait apparaître le visage de Colette qui tenait le café du Chevalement du 11/19 à Loos en Gohelle au milieu d’un tableau Du Caravage. De Mme Ramon qui… De Mme Bertha… Le flux et le reflux des vagues d’images des Veillées ramèneraient le visage des gens rencontrés au cours des Veillées à la surface. A la surface des tableaux. C’est comme ça qu’on ferait le lien entre les Veillées, Culture Commune, l’art, le Louvre, la culture, les populations. On pourrait démontrer aux gens que si on décortique les oeuvres, on va y retrouver plein de gens qu’on a rencontrés dans les quartiers…


Pour une Veillée, à Guyancourt, en porte-à-porte, Jérémie et Flora ont rencontré une dame qui habite dans le quartier depuis plus de vingt ans. Dans le temps, elle travaillait dans la recherche, sur les papillons. Elle élevait des papillons pour les étudier, depuis la larve jusqu’à l’envol. Elle raconte. Il y a des gens qui venaient du monde entier. Je me souviens d’américains qui sont venus faire un film. J’étais dans la serre avec des centaines de papillons posés sur moi. J’ai eu un succès fou !
Elle nous a parlé d’Isabella Graelsia, un beau papillon du sud, qu’elle aime particulièrement.


Ça fait sept ans que ça dure. Les Veillées c’est quinze jours à trois semaines de résidence dans un quartier populaire pour aller à la rencontre des gens et faire des spectacles ensemble. Collecter des témoignages. Faire des images. Multiplier les actions artistiques avec les habitants et les comédiens, acrobates, danseurs, plasticiens… Tout ça a commencé à l’initiative de Culture Commune. Et puis maintenant… Il va y avoir Le Louvre à Lens au milieu des cités ouvrières… C’est quelque chose tout de même.


A Wingles, à la sortie de l’école on a rencontré une dame qui s’appelle Mme Amour. Elle nous invite à venir chez elle, si on veut on peut danser dans le jardin « en plus la pelouse est toute douce ».


On a commencé le travail sur les Atomics comme un retour sur ce travail qu’on mène sur les quartiers populaires depuis des années. On a fait toute une série d’essais, de tentatives, par exemple, on s’est interviewé les uns les autres par rapport aux veillées. On s’est demandé pourquoi on faisait ce travail là, comme ça. Comment on s’y retrouvait. Comment on en est arrivé là. On s’est interviewé un peu comme au théâtre on fait l’interview des personnages.


Didier. – Un jour, au théâtre, ma mère est venue. Elle serait pas venue si c’était pas moi qui jouait. A Villeneuve d’Ascq, à Lille… tu parles ! J’ai trouvé un endroit qui me soulage d’être vivant. La violence nous est nécessaire pour exister. L’esthétique de l’esthétique ne me raconte rien. Les veillées, on s’est dit, qui sont ces gens qu’on va voir ? qu’est-ce que c’est qu’un sauveteur des mines ? On est obligé de prendre du temps… Comment les gens se débrouillent dans un monde qui est hostile. Jeff Koons et Le homard rouge au château de Versailles, pour tout dire je m’en fous. Je m’intéresse plus au Christ dans l’urine. (en référence à Piss Christ d’Andres Serrano) (Didier Cousin, veilleur et comédien dans Les Atomics)
La culture est une boite à outils. Ce que l’on y fait doit servir à quelque chose. Ce que l’on y invente va quelque part, quelque part dans le monde, avec les gens. Les pratiques culturelles sont des outils pour des cultures qui nous lient. Alors qu’on soit artiste ou pas c’est pas grave. Ou dire que l’artiste est une sorte d’artisan qui fabriquerait des outils avec lesquels on ferait une culture commune pour tous. L’artiste ne dirait pas ce qu’est la culture, l’artiste ne ferait pas la culture. L’artiste proposerait des outils, comme par exemple des stylos, qui permettraient d’écrire la culture tous ensemble. Une boite à outils.


A Saint Nazaire, on a rencontré Monsieur Alorent. Il a beaucoup milité. Sa femme aussi. Rien ne lui échappe de comment et pourquoi les entreprises se retournent contre les ouvriers. De comment ils
ne sont plus rien face à ce gros marché mondial. Du virtuel. Du chiffre. Il parle de l’amiante. Du coup tordu de l’amiante. Les syndicats avaient demandé une reconnaissance de la maladie sur une période remontant à 1975. Quand l’entreprise a accordé ça, c’était pour mettre tous les anciens en pré-retraite. C’est pas mal au fond, c’était un droit reconnu, une victoire, oui, mais, une victoire pour l’entreprise aussi : licenciement camouflé. Se débarrasser des vieux de la vieille, des syndicalistes, pour les remplacer, éventuellement, par des intérimaires, sinon pas les remplacer du tout et confier tout ça à la sous-traitance.


Les Atomics, c’est faire en sorte que toutes ces paroles se croisent. Comme un monde en ébullition. Un monde en transformation. Sur un même plateau servi par des acrobates, des danseurs, des comédiens, des plasticiens. Au service du rapport de l’art aux populations et à la société. Sans oublier l’endroit d’où l’on part, d’où l’on est : le 11/19 à Loos en Gohelle cet ancien site minier reconverti pour partie en centre d’art et de culture qui met l’humain au centre du monde. Dire notre propre histoire et celle du site pour mieux parler, laisser parler les autres. Rendre la parole. Agir comme des transmetteurs. On aurait pu appeler ce spectacle « Transmission ».


Les Atomics, c’est parler de nous, c’est interroger notre engagement, nos prises de positions, nos doutes et nos errances existentielles. Comme lors de cette soirée spéciale, la soirée des salariés licenciés à Culture commune, en 2005 (nous sommes installés au 11/19, artistes associés à Culture commune) : « aujourd’hui, on licencie, ici, sur l’ancien site minier : qu’est-ce qui se passe ? Sept personnes vont se retrouver sans travail. Humainement, politiquement, socialement, c’est insupportable. Qu’est-ce qu’on attend ? Qu’est-ce qu’on attend ?… Pas se dire qu’on est militant au quotidien, dans sa vie de tous les jours, ça ça ne donne rien. Quelque chose, un geste fort. Comment, après tout ce qu’on a dit, on peut continuer à faire du théâtre ? Comment, après tout ça, après tout ce qui se passe là… ? »


Dans Les Atomics, on va s’attacher à mettre en valeur tout ce qui est contenu de richesse sensible dans l’expérience des gens. Opérer des brouillages. D’abord entre le documentaire et la fiction puis entre l’esthétique et le social. Effectuer un renversement de positions. Les héros des Atomics sont des seigneurs, les Roi Lear, OEdipe ou Antigone ou Vladimir et Estragon, personnages de Beckett. Ce sont les habitants des quartiers. Le luxe c’est eux. Comme dans la citation « l’art c’est ce qui rend la vie plus belle que l’art » on va dire d’une autre manière que l’art est en déficit par rapport à la richesse d’expérience dont il s’agit de rendre compte.



Véridiane. – Je m’appelle Véridiane, j’ai 15 ans, je suis étudiante en théâtre. Je fais du théâtre au centre culturel essentiellement avec des jeunes, enfants et adolescents, Mon objectif est de prouver que même quand tu nais dans des quartiers plus défavorisés, il y a toujours moyen de se retrouver dans l’art, la culture, le théâtre. Le chemin du crime n’est pas une fatalité. Très souvent on retrouve le même discours chez les enfants : « écoute, ouais tata (c’est comme ça qu’on appelle les plus âgés au Brésil) ouais tata je vais te tuer, te remplir de plomb, moi j’ai rien à perdre » et moi je leur demande de s’asseoir et si ce discours là est vraiment nécessaire.Il y a des trucs tellement plus intéressants comme par exemple voir une pièce de théâtre dans un autre centre social. (…) C’est avec Fernando que j’ai découvert le théâtre au centre culturel, avant je n’avais aucune idée de ce qu’était être acteur, aucune idée. Moi, en ce qui me concerne, je me concentre sur l’école, je pense qu’une comédienne, sans éducation et sans culture n’est rien. Donc je lis, je m’informe beaucoup, j’écris des poésies et, avec les amis, je cherche d’autres moyens d’expression artistique. Le théâtre c’est ma pratique et je cherche dans le milieu du hip hop. La culture et l’art en général, c’est important. Mon grand rêve est d’être comédienne, mon projet de vie, je suis prête à me battre pour ça, j’ai de l’amour pour le théâtre, ma raison de vivre et mon grand espoir est d’avoir, à l’âge de 70, 80 ans, encore assez de force pour me battre en faveur du théâtre, de l’art et de la culture. Je n’ai que 15 ans, mais je peux dire que je n’ai pas envie de faire du théâtre pour les bourgeois. Ça ne m’intéresse pas d’être connue. Avant tout, ma bataille est d’amener le théâtre ou toute autre expression artistique, dans ma communauté, là où je suis née, là où j’ai grandi. Je me refuse à passer dans cette vie sans rien faire, même si je n’ai pas les moyens de tout changer, même si ce n’est qu’un grain de sable que je prends ici pour le déposer ailleurs, je le ferais. Ma vie ne peut pas s’arrêter au fait que je suis née dans un bidonville parmi les pauvres. Ce n’est pas parce que j’écoute du rap qu’il ne faut pas que j’écoute de l’opéra. On peut tout aimer mais on s’identifie à quelques trucs et c’est comme ça que tu arrives, toi, à te situer dans un ensemble. Je ne peux pas accepter qu’on me dise - parce que je suis née dans une favela - que je suis bête, pas capable de réfléchir.
(Véridiane, rencontrée lors de la Veillée à Belo Horizonte, Brésil )


Dans Les Atomics on va faire se rencontrer Véridiane de Belo Horizonte et Djamel de Tremblay et Josefa Fabri de Bourges… Parler du 11/19 et du Louvre. Créer une internationale de la culture, des cultures…


A Liévin, on a récolté des petites histoires : d’elle, qui croyait quand elle était gamine que les terrils, c’étaient les gens qui jetaient tous de la suie au même endroit, de lui qui croyait que son père descendait à la mine accroché au câble et qu’il tournait autour de la roue du chevalement avant de descendre dans la terre, ou eux, qui disent qu’un architecte a projeté d’enterrer Le Louvre à des centaines de mètres de profondeur. Ou ce jeune homme qui pense que son grand-père pouvait remonter de la mine à n’importe quel endroit des champs autour de la mine, ou la dame qui dit que bientôt on rouvrira les mines pour donner du travail à tout le monde, ou elle qui pensait quand elle était petite que tous les personnages que peignait son père sur ses tableaux allaient sortir de la toile et qu’elle avait vu le jour comme ça. Et cet homme qui veut s’exposer au Louvre lui même en tant qu’oeuvre d’art…



Flora.J’ai laissé des bouts de moi à chaque veillée. J’aurai pu rester dans chaque ville. Être enseignante à Saint Nazaire, à l’IME ou au lycée Expérimental, être travailleur social à Tremblay, animateur à la maison de quartier de Guyancourt, participer à l’atelier cuisine de Pignon, travailler à la bibliothèque d’Alana, à Sao Paulo. Je suis passée à côté de plein de vies possibles. Travailler à la maison de retraite à Loos-en-Gohelle. Je suis très à l’aise avec les personnes âgées et les ados. J’ai aimé parler portugais avec les enfants brésiliens. Ici ou ailleurs, on est vite des habitants, je me sens d’ici, comme dans tous les endroits où on est allé. L’impression d’y avoir vécu.
(Flora Loyau, veilleure et artiste plasticienne, comédienne )

Guy Alloucherie

février 2010

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