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: Note d'intention

En 2006, je commence des recherches à partir du texte de Heiner Müller Le dieu Bonheur. Mais cette recherche et les ouvertures qu’elle me propose (la lecture de l’oeuvre de Heiner Müller, de Walter Benjamin, de Bertolt Brecht, une réflexion sur l’Histoire à travers les individus qui nous la font passer), sont devenus peu à peu le centre de mes images scéniques. C’est ce travail que je souhaite restituer dans la création de Le dieu Bonheur en mêlant au texte de Heiner Müller l’Histoire qui le constitue, et celle qui nous fait nous individus européens du vingt-et-unième siècle.


En 1958, on avait demandé à Heiner Müller de terminer le projet d’opéra initié dans l’entre deux guerres par Bertolt Brecht intitulé Les voyages du dieu Bonheur. Heiner Müller dit qu’il ne peut répondre à cette demande et choisit d’écrire son « dieu Bonheur ». Entre temps, la seconde guerre mondiale, Auschwitz, et la mise en place en RDA (où il vit) du projet communiste. Il travaillera sur ce texte jusqu'en 1975 date de sa publication.


Comment prendre le droit aujourd’hui de poser ces textes les uns à côté des autres, de supprimer le temps et l’Histoire qui les séparent ? L’Histoire n’existe que de l’endroit où elle est regardée et pour celui qui la regarde. Heiner Müller ne pouvait pas faire coïncider son Histoire, son époque avec celle de Bertolt Brecht. Mais pour nous aujourd’hui ces textes et les époques auxquelles ils appartiennent, leur politique, leur culture, leur économie, leurs individus sont comme des îlots côte à côte. Les regrouper dans un même espace/temps, comme des fragments juxtaposés, ne peut que nous permettre de mieux les voir; chacun; car entouré d’un bout de l’Histoire qui les a fait naître.


Et dans cette Histoire qui commence à la fin des années trente par le texte de Bertolt Brecht et s’avance jusqu’à nous, un fil peut être tiré. S’effondre l’idéologie du progrès sur laquelle est construite l’idée du bonheur dans notre société occidentale, cela depuis le dix-neuvième siècle et les conquêtes. Mais c’est à elle que nous nous accrochons toujours, et nous perdons espoir d’épanouissement. Qu’allons nous faire d’un dieu que l’on appelle Bonheur ?


Les êtres que le dieu Bonheur rencontre ne sont plus en attente de rien. Ils vivent chacun dans la pensée de leur propre survie, dans l’efficacité de cette survie là. La structure du texte d’Heiner Muller, construit de différents types de paroles, d’écritures, s’appuie sur la conception que Walter Benjamin développe d’une pensée non systématique ou fragmentaire. Il pose côte à côte différents mots, images, pensées qui mis les uns à la suite des autres donnent un volume, un relief, une universalité que ne peut pas apporter la pensée linéaire. C’est aussi grâce à ce processus qu’il m’est possible aujourd’hui de continuer ce travail de fragment : de créer à partir de notre époque et du texte de Müller une réflexion sur notre Histoire. Raconter l’histoire de l’Histoire ou ses histoires. Raconter Brecht, Benjamin, Müller. Histoires d’individus transportant leur morceau de bonheur.


Comment faire vivre cette pensée du fragment au théâtre ? Le plateau est l’expression même de la continuité, du passage, de l’intermède. Comment se défaire d’un temps et d’un espace continus ? Questionner la position de spectateur, de celui qui regarde. Comment, pourquoi et d’où regarder. Accepter de regarder est une action puissante, nous en avons effacé le sens.
L’espace même de la salle de représentation est important. J’aimerais être capable de retrouver l’espace brut d’où aucune frontalité n’est posée de fait. L’espace d’un plateau de tournage, où différents espaces et illusions/réalités sont juxtaposées et dans lequel circule la caméra, me fascine. Elle déambule au milieu d’espaces et de mondes qui prennent vie et meurent pour le spectateur qui voyage avec elle.
Avant tout : conserver le « spectacle », (cabaret, marionnettes, danse, performance), la magie qu’il crée et qui rend possible l’écoute de paroles inaudibles. Le spectacle c'est accepter de se trouver ailleurs, « autre ». Le cabaret en est la forme la plus nostalgique. Il recrée un rêve que l’on possède tous dans l’imaginaire commun. Ce lieu où tout peut se passer.
Et comme le dit Heiner Müller c’est à travers la nostalgie que naît la prise de conscience de notre présent.

Et la révolte.

Natacha Dubois

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