Tu te découvres un matin en milieu de vie, habillé comme la masse, assez riche pour ne pas paraître pauvre, talentueux tout de même quand il s'agit de te cacher ou de te faire oublier, d'une apparence stable et nécessaire et fondatrice de la chambre exiguë dans laquelle tu demeures, du fauteuil Club émoussé dans lequel tu t’enfonces, l'esprit hanté par une femme belle mais trop, réussite éphémère de ta vie d'autrefois où il y avait encore l'odeur du repas, la chaleur des meubles et le chien qui te fait la fête ; un autre homme, ombre vivante, alter ego, t'aides pour ton bien, « il vous faut du repos, vous ne pouvez pas sortir dans cet état, vous seriez un danger, pour vous-même comme pour les autres, restez alité, une semaine encore, ou deux si les choses ne s'améliorent pas, autant qu'il faudra pour que la tourmente cesse, comptez sur moi, je veillerai sur vous, je ne vous laisserai pas sortir, comptez sur moi, il faudra me passer dessus, et je suis de taille. » Mais la tourmente secoue toujours, on n'oublie pas ainsi, on ne tue pas un fantôme d'un coup d'épée, on ne franchit pas une porte si facilement ; assis dans le fauteuil tu vois le chien et c'est curieux : il s'approche à pas de loup.