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Accueil de « Le Journal d'une autre »

: Regards croisés avant la répétition - Création

- Isabelle
« De dessous quels décombres je crie … »
Il y a quelques années, j’ai vu à la télé un reportage sur un tremblement de terre en Iran. Une femme très âgée était restée coincée huit jours sous les décombres sans boire ni manger. Quand on l’a sortie elle était vivante. Les journalistes se sont tous précipités pour l’interviewer, pour lui demander « ce qu’elle avait vécu, comment elle avait vécu ça ». Elle les a regardés puis a dit un poème qu’elle avait appris à l’école sur la lumière et les ténèbres.


- Valerie
Témoignages…
Dans la préface de son roman « Sophia Petrovna » Lydia dit « (…) j’ai eu plus que jamais envie que mon roman devienne accessible aux lecteurs et serve ainsi une cause qui me paraît vitale ; au nom de l’avenir, aider à comprendre les raisons et les conséquences de la tragédie vécue par mon peuple ».
Je suis cet « avenir » qu’elle invoque, qu’ai-je compris « des raisons et des conséquences » ? Elle écrit pour porter plainte devant un tribunal imaginaire, devant le futur lecteur d’un texte qu’elle code et cache. Je suis ce lecteur espéré, dépositaire de cette plainte.
Qu’en faire ? Prolonger son geste. Ré-interroger son témoignage depuis cet instant de l’avenir où nous sommes, nous.
C’est pour moi un geste d’interprète. En faisant passer ces « voix anciennes » par nos corps « contemporains », sentir et donner à voir ce qui nous rapproche et nous éloigne. Qu’y a-t-il de si vital à transmettre une parole ? Qu’est-ce que l’amitié de ces deux femmes menacées, qui se sauvent mutuellement par la pratique poétique, me raconte sur ma place d’interprète de théâtre aujourd’hui ? Comment cela nous raconte quelque chose sur la nécessité qu’on a encore à partager les mots et les expériences dans l’espace « amical » du théâtre ? Pourquoi ce besoin d’être « ensemble » pour comprendre ? Il y a aussi une grande curiosité de ce moment bouleversé de l’histoire.
Superposer ces deux moments du temps, et en racontant les instants salvateurs du passé, entrevoir peutêtre les nôtres. Pour cela, passer par le témoignage et non par le récit historique, voir ce que ça active de différent dans ma/notre compréhension. Tenter de témoigner, sans savoir si c’est pour d’autres ou pour soi.


- Isabelle
Quatre à table…
J’ai lu « Entretiens avec Anna Akhmatova » il y a de nombreuses années.
Peu de temps avant sa mort, j'ai appelé au téléphone Lydia Tchoukovslaia. J’ai entendu sa voix, elle était surprise et émue du projet théâtral.
N'étant pas vraiment satisfaite de mon adaptation pour le théâtre, j'ai laissé passer du temps jusqu'à ce que je me dirige vers celle à qui je l’avais fait lire pour la première fois, Valérie Blanchon.
La rencontre anime aussi la construction de ce projet.
Maintenant, nous sommes « quatre à table », Il y a Anna, Lydia, Valérie et moi. Réunies ensemble, deux actrices d’aujourd’hui et deux figures de l’époque stalinienne.
Alors, comment aborder ce qu’elles tissent ensemble ?
Ni copines, ni amies, mais un lien indéfinissable et subtil. Comment saisir cette volonté impérieuse de résister, la construction secrète d'un îlot intime ?
Comment jouer ce qu’elles ne peuvent pas dire parce que chaque pas est dangereux ? Comment faire avec ça au théâtre ?
Jouer la petite chambre glacée de l’appartement communautaire ? Jouer Lydia traversant la ville en pleine nuit après un coup de fil d’Anna «Venez venez tout de suite!» ? Jouer la terreur, le poids de leur vie inimaginable ? Et comment jouer, en-dehors de tout réalisme superfétatoire, ce moment où Lydia apprend les poèmes écrits sur un bout de papier et qu’Anna, penchée au-dessus du cendrier, brûle ce que Lydia vient d’apprendre ?
Justement il ne s’agit ni d’une reconstitution de l’époque ou de la petite chambre, ni de s’accaparer Lydia et Anna. Nous devrons rester patientes avec ces questionnements. Le texte définitif ne sera acquis qu'à l'approche de la première représentation.
Le rapport des deux actrices doit s'inventer comme le rapport entre ces deux femmes s'est inventé, au fur et à mesure de leur nécessité.
C’est peut-être ici que le théâtre prend tout son sens. Dans cette proximité, cette clandestinité, cette parole qui continue malgré tout. Parler, c’est continuer.

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