En 1938, Lydia Tchoukovskaïa rend visite pour la première fois à Anna Akhmatova. C’est une visite pour « affaire ». Ce qui, dans le langage codé qu’elle utilise pour rédiger ses notes, signifie qu’elles vont échanger des renseignements sur leurs démarches pour faire libérer le mari de Lydia et le fils d’Anna, arrêtés depuis peu. De là, s’ouvre un entretien qui prendra fin trente ans plus tard en 1962. Une interruption de 10 ans, entre 1940 et 1950, suspend la conversation mais dès cette première visite leurs vies semblent liées.
Rencontre de deux destins ? Amitié entre « la poétesse » et celle qui l’admire ? Solidarité tacite ? Aucun mot ne se pose sur ce qui se passe entre ces deux femmes. Elles savent que se parler c’est se sauver. Alors elles parlent, de poésie, littérature, fourchettes introuvables et plus tacitement de leur époque. Faire que le poème continue c’est tenir envers et contre tout.
Anna Akhmatova ne peut garder chez elle les poèmes qu'elle écrit. C’est trop dangereux. Elle demande à Lydia de les apprendre par cœur, puis elle les brûle. Ce geste terrible et bouleversant éclaire ce qui les lie.
Au cours du temps et des évènements, Lydia note chaque geste, chaque impression, chaque propos de ses rencontres avec Anna Akhmatova.
Ce pourrait être un journal intime, mais elle ne veut pas raconter sa vie. Cette forme « journal », généralement vouée à soi-même, est ici dédiée à une autre.
Ce n’est pas non plus une biographie. Lydia rend compte du présent. Le passé est évoqué, mais ce qu’elle s’attache à décrire, c’est ce qui leur arrive « maintenant ».
Ce présent qu’elles traversent est effrayant, violent, fait de pressions et d’inquiétudes : déportations du fils d’Anna et du mari de Lydia, interdiction d’édition, perquisitions, censure, menaces d’arrestations, de déportation et de tortures, surveillance permanente, provocation par voies de presse.