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La Maman du petit soldat

mise en scène Philippe Sireuil

: Subjectivité

Philippe Sireuil, tiré de Alternatives théâtrales 108 - Philippe Sireuil, Les coulisses d’un doute, 1er trimestre 2011

Mettre en scène, c’est d’abord un acte de lecture, puis à sa suite, un acte d’écriture. Au texte lu, s’ajoute l’écriture scénique qui vient contredire, amplifier, dialectiser, mettre en perspective l’écriture textuelle. Je ne peux commettre ce double geste qu’au travers de textes qui me parlent, m’interrogent, me provoquent, m’émeuvent, me happent, et dont la dimension, à mes yeux, est telle que je suis a priori perdu devant les horizons ou les profondeurs qu’ils recèlent. Sans quoi je reproduis, je recycle, le savoir-faire peut être au rendez-vous, mais l’ennui guette, ce qui ne donne jamais de bons résultats.


Entre le texte et moi, il faut qu’il y ait un chemin à parcourir, un obstacle à surmonter, un vertige à vaincre. Je compare très souvent le métier, celui du metteur en scène comme celui de l’acteur, au travail de l’archéologue : pour trouver quelque chose, il doit creuser la terre, mettre ses mains dans la boue ou dans le sable, prendre des risques, chercher, repérer, tâtonner, gratter, mesurer, creuser, être patient et acharné. Il en va du texte, de ses méandres et ses secrets, comme de la terre et des gravats, il faut fouiller jusqu’à l’excès pour y découvrir ce que l’on cherche confusément, et tant pis pour les écorchures.


Si une pièce s’offre à moi dans l’immédiateté d’une première fois, si sa lecture ne m’occasionne ni effort, ni inconfort, si, à l’instant où je referme le livre, je sais comment je pourrais aller au bout d’elle-même avec les acteurs, je n’en entreprends pas le détour. Á chaque fois, j’ai besoin de cette exaltation, de cet égarement – qui ne sont pas que fantasmatiques - :le texte est une montagne à gravir, bien souvent le matériel d’escalade n’est pas des plus appropriés, mais si on arrive à gagner le sommet, on peut espérer savourer et faire savourer le paysage ainsi dévoilé.


« Est contemporain ce qui me parle encore », la citation est de Laurent Busine, directeur du Musée des Arts Contemporains du Grand Hornu. Je ne peux mieux dire. La contemporanéité, ce n’est pas un label, c’est une adéquation, dans un temps donné, de l’objet regardé et de qui le regarde. Nombre de textes d’aujourd’hui ne me disent rien alors que d’autres d’hier me parlent beaucoup. Passé mes débuts où je pêchais par timidité et ignorance, j’ai toujours chercher à alterner entre passé et présent, répertoire et découverte. (…)


Enseigner m’a souvent donné, sur les textes abordés au cours d’ateliers de jeu, une légèreté qu’au théâtre je n’arrivais pas à saisir. L’école donne souvent de la liberté alors que, parfois, le théâtre fige. Les conditions du laboratoire, la composition du groupe, l’absence totale de pression socioprofessionnelle, la pauvreté des moyens nous forcent de recourir à des solutions auxquelles on rechignerait au théâtre. (…)


Dans le métier du théâtre, on est très vite prisonnier : des moyens de production, du regard des autres, de sa pensée comme de ses propres tics, d’un style qui s’invente à travers le savoir-faire, la pathologie personnelle, les goûts, les manières de traiter l’image au plateau. Il faut accepter de trouver les moyens – ce n’est pas le plus facile – de se mettre en cause, en déséquilibre, jusqu’au péril. Chaque metteur en scène a sa pathologie, sa syntaxe et sa grammaire, et je n’échappe pas à la règle. « Le théâtre est un acte de résistance », écrivait Antoine Vitez ; j’ajouterais : un acte de résistance à soi-même.

Philippe Sireuil

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