: Et le texte ?
Non pas comme sʼil était à l'origine, mais plutôt comme s'il était un pré-texte. Que racontera-t-il de la vie de cette femme ? Comme pour revenir un peu dans un passé personnel, Bertholet se replonge dans une biographie berlinoise, cette ville qu'il a bien connue et où les noms propres de cette pièce à venir résonnent à tous les coins de rue : Liebknecht, Marx, Engels, Bismark, Kaiser Wilhelm...
Rosa a passé 834 jours en prison. Des jours seule. Des jours avec ses livres. Des jours à se souvenir de ses livres, de
ses amis. Des jours à écouter les bruits de la rue traverser les barreaux. Des jours à attendre des visites. Des jours à
sʼen réjouir. Dʼautres à souffrir de leur départ.
Tous les jours à penser. Un monde autrement.
Étendre, étaler le théâtre de ses pensées : les visites rêvées de Marx, de Leo Jogiches[1], de Lénine, de Clara Zetkin[2], de cette fille-mère à lʼenfant qui hurle de lʼautre côté de la cour, des oiseaux, les images de ces fleurs quʼelle fait pousser dans un coin de cour, ces lettres qui déçoivent parce quʼon a trop attendu pour les ouvrir…
Rosa Luxemburg, marxiste de la première et de la dernière heure retourne toujours aux sources, aux origines. Fervente
défenseuse dʼun marxisme du livre comme on pourrait être catholique de la Bible, elle utilise toute sa verve littéraire, sa
fougue oratoire pour éviter que le socialisme ne se prostitue dans le parlementarisme. Combattante de tous les
nationalismes, elle ne croit quʼà lʼunion de tous les prolétaires, sans pays, sans race. Elle ne se laisse pas cantonner
dans un rôle de féministe dʼavant-garde, préfère être de tous les fronts. Crainte des Polonais pour son refus de se battre
pour une nation à laquelle elle ne croit pas, mise à lʼécart par les Socio-Démocrates allemands pour ses convictions
doctrinaires, elle est portée par les foules ouvrières quʼelle sait enflammer comme aucun autre.
Elle croit. Se bat. Sʼoppose. Impose. Ecrit. Crie. Harangue. Bataille. En public. En privé. Dans les salons. Dans les
journaux quʼelle dirige, crée, reprend et fait revivre.
Elle fait peur, à droite, à la droite de la gauche, au centre de la gauche. Elle est lʼextrême-gauche. Fondatrice des
Spartakistes allemands avec Karl Liebknecht, précurseurs du Parti Communiste allemand, sa rupture avec le
mouvement socialiste est consommée. Sur le front de la Révolution Russe en reporter, elle ne veut pas manquer
lʼévénement, mais elle sent dans ces prémisses déjà lʼembryon de la catastrophe soviétique, stalinienne… Elle préfère la
Révolution par le bas, par la masse, à lʼimposition dʼune Révolution par le haut, par les armes, par un chef.
Elle enseigne les idées marxistes, forme des délégués, écrit, vulgarise, explique, montre les injustices et donne les
armes intellectuelles pour les combattre. Résignée, défaite mais pas renfrognée, elle attend paisiblement. Elle sait sa
mort proche quand une tentative de Révolution en Allemagne est étouffée par le laxisme des Socio-Démocrates et la
peur de lʼArmée de perdre ses pouvoirs. Elle accepte son échec, convaincue que la masse ne devait pas être encore
prête à se soulever. Elle ne pouvait et ne voulait pas les y forcer ou les diriger.
Et aujourdʼhui ?
Elle savait que la lutte finale viendrait dʼelle-même.
Demain ?
Il y a lʼHistoire. Il y a les biographies. Il y a les Idées. Il y a les réflexions, les hésitations. Il y a ce moment dans lʼHistoire :
la chute dʼun système, la possibilité dʼautre chose. La chute des derniers rois européens, la possibilité des dictatures du
Peuple. Et il y a les idées de Marx, de Lénine… Et puis, quand le feu se sera éteint, tout redeviendra comme avant, des
dictatures auront remplacés des monarchies, les nations reprendront leurs territoires et le marché se remettra à
marchander, à marcher.
Et si aujourdʼhui, ou juste hier, nous nʼétions pas passé si loin de la fin dʼun système. Le marché nʼa-t-il pas frémi, pas tremblé ? Pourquoi nʼest-il pas tombé ? La masse ne sʼest-elle pas soulevée. Nʼen sait-elle pas plus aujourdʼhui quʼen 1919 ?
Notes
[1] À la fois partenaire de lutte et partenaire dʼune longue période de sa vie, Léo est polonais comme elle. Ils se rencontrent ä Zurich, montent à Berlin ensemble, et ne se quitteront que pour des courtes périodes de disputes. Né dans une riche famille, il est aussi un soutien financier pour Rosa.
[2] Femme communiste allemande, fervente féministe et défenseuse du droit de vote, elle sera une grande amie de Rosa.
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