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Festival d'Avignon

: Entretien avec Josse de Pauw et Jan Kuijken

Propos recueillis par Jean-François Perrier

HUIS que vous présentez au Festival d’Avignon s’inscrit dans un genre que l’on appelle communément le théâtre musical. Revendiquez-vous cette appellation ? Pourquoi cette association de la musique à des formes théâtrales ?


Josse De Pauw : Je n’ai jamais fait le choix de m’inscrire dans une catégorie spéciale. Il se trouve que j’ai toujours été intéressé par la musique qui développe un langage différent de celui de la littérature. J’envie les musiciens qui ont ce langage moins sali par la vie quotidienne, qui ne nécessite pas d’être réexpliqué, réinventé comme les mots. La liberté et la concentration des musiciens me touchent. Quand je suis sur scène avec eux, je suis plus alerte. J’ai la sensation qu’il me suffit de laisser les mots faire leur travail ; je ne suis plus focalisé sur la signification. Ils apportent une clarté, une force vive d’une grande richesse.


Jan Kuijken : Réfléchir à une expression où la musique s’inscrit dans un ensemble plus vaste, en compagnie d’autres disciplines me passionne. J’attends toujours avec impatience le travail concret des répétitions et des représentations. Pour moi, travailler avec le théâtre crée une différence fondamentale. Je n’ai ni règles ni lois prédéterminées, à part la conscience que la musique fonctionnera dans un ensemble. Le théâtre, par sa nature éphémère, se déroule ici et maintenant, rembobiner est impossible. Dans ce cadre, je préfère que la musique exprime des émotions très directes, pouvant aussi toucher quelqu’un qui ne connaît rien à la musique. J’aime une certaine efficacité : je veux que nous tentions de façonner efficacement, sans trop de bruits parasites, ce que nous souhaitons transmettre. Le spectacle exige de nous flexibilité et empathie. Je continue à observer et à écouter. Si une certaine scène fonctionne mieux seule, sans musique, je n’hésite pas à la supprimer ! Je suis un compositeur autodidacte, mon apprentissage est la pratique. Je travaille d’habitude à l’intuition.


Vous travaillez ensemble depuis plusieurs années. Comment votre collaboration a-t-elle commencée ? Était-ce une évidence pour vous d’associer musique et texte dans vos spectacles ?


J.K. : Nous nous connaissons depuis très longtemps. Dans les années 1990, nous nous rencontrions souvent dans la vie nocturne bruxelloise et nous avions une grande envie de travailler ensemble. Notre première collaboration, en 2004, a été L’Âme des termites.


J.D.P. : Les premiers spectacles auxquels j’ai participé au cours des années 1970, avec le collectif Radeis – d’ailleurs présentés au Festival dans la cour du Cloître des Célestins au début des années 1980 –, ne comportaient parfois aucun mot. Nous ne faisions pas du mime, mais nous nous rattachions à ce que je pourrais appeler « l’absurdisme belge ». On inventait des actions en extérieur. C’était un théâtre de corps, de musique et surtout de silence. Nous pensions au début de notre aventure que les spectacles de rue devaient avoir une certaine vélocité, qu’il fallait faire du bruit. Mais très vite nous avons compris qu’il fallait jouer très lentement pour attirer l’attention de ce public mouvant, et nous avons aussi compris qu’il pouvait y avoir aussi une musique de la ville et qu’il était nécessaire de jouer avec elle.


J.K. : Ce qui est très spécial dans la collaboration avec Josse, c’est que nous adoptons une méthode de travail différente pour chaque pièce. Pour HUIS, notre quatrième spectacle, nous prenons pour la première fois deux textes dramatiques existants. Josse aime réellement la musique et il possède quelque chose qui est rare : la confiance. Une telle collaboration apporte beaucoup de liberté, mais aussi une grande responsabilité.


Dans HUIS, les musiciens ne seront pas présents sur le plateau . Y a-t-il un rapport avec la structure de HUIS, composée de deux textes différents ?


J.D.P. : Jan a voulu composer une musique pour un très grand orchestre et pour des raisons techniques et financières, il était impossible d’avoir une formation importante sur le plateau. Il a fallu enregistrer la musique en studio et nous avons trouvé une solution pour l’utiliser sur scène : le cinéma. Au cinéma, la musique est souvent narrative, elle annonce des grands moments, des effets. J’ai donc organisé la mise en scène à partir de cette contrainte. Mais Jan sera présent puisqu’il mixera la musique en direct à chaque représentation.


J.K. : C’est vrai que nous travaillons différemment pour les deux textes. Pour la première partie, Le Cavalier bizarre, j’ai écrit de la musique, tantôt entre les textes, tantôt sous les textes. L’idée est que les acteurs se positionnent sur la musique. Avec une composition pour orchestre symphonique, nous avons pu travailler à des sonorités amples. Le fait que Michel de Ghelderode écrivait aussi pour le théâtre de marionnettes a été une source d’inspiration. Josse évoque souvent l’idée de grossir quelque chose jusqu’à la limite du grotesque. Bien sûr, écrire une musique de cinéma pour un film qui n’existe pas (encore) est étrange. Nous nous demandons comment cela va fonctionner, ce qui va en surgir.
Pour le second texte, Les Femmes au tombeau, j’ai en fait écrit à l’aveugle. Autrement dit, j’ai écrit des bribes de musique sans savoir où elles serviront et si elles seront utilisées. Nous allons donc plutôt placer la musique sous et autour du jeu des actrices. Nous envisageons aussi des passages chantés et constituons une petite bibliothèque de bruitages à utiliser éventuellement.


Vous parlez de cinéma. Y aura-t-il d’autres références dans la mise en scène ?


J.D.P. : Oui, surtout en ce qui concerne la lumière qu’imaginera Enrico Bagnoli, qui travaille beaucoup avec Guy Cassiers. Lumière et musique doivent créer l’univers dans lequel se déroulera l’action, avant que les acteurs ne prennent en charge le texte. Ensuite il y aura alternance entre des tableaux que je voudrais cinématographiques et des moments de pure théâtralité. Mais il n’y aura pas de vidéos ou de films projetés. La créatrice de costume, Greta Goiris, s’inspirera bien sûr des représentations picturales anciennes mais en n’oubliant pas que nous jouons aujourd’hui. Il n’est pas question de se fixer dans un temps précis car l’important est le corps des acteurs. Il faut que lumière et costumes fassent sentir l’état de vieillesse de ces corps pour éviter l’exhibitionnisme. Je veux faire un théâtre pauvre, simple, avec des moyens de théâtre. J’aime le théâtre d’acteurs, théâtre de troupe, j’aime la fraternité du travail partagé.


HUIS est un spectacle en deux parties correspondant à deux pièces de Michel de Ghelderode : Le Cavalier bizarre et Les Femmes au tombeau. Pourquoi avoir choisi cet auteur un peu oublié, surtout en France, et l’association des deux oeuvres ?


J.D.P. : Moi qui suis flamand d’origine, j’aime l’écriture, en français, de Michel de Ghelderode car elle est facilement traduisible dans ma langue natale. Son univers et son langage qui utilise des mots archaïques, qui est assez rude avec les pieds sur terre, me permettent d’être immédiatement en accord avec ses oeuvres. J’aime aussi chez lui son intérêt pour les marionnettes. Il se définissait lui-même comme un écrivain flamand de langue française. Il aimait une Flandre un peu mythique. Les deux oeuvres ont un thème commun : la mort et le fait que les personnages sont enfermés dans un lieu clos où ils se cachent. « Huis » veut dire « maison » en néerlandais et « porte » en français. Dans Le Cavalier bizarre six hommes âgés, des vieillards, sont réunis dans une pièce en attendant l’arrivée d’un cavalier dont ils comprennent tous qu’il s’agit de la mort. D’abord assez fanfarons, ils deviennent de plus en plus inquiets avant de s’apercevoir que le cavalier est venu chercher un enfant et qu’ils peuvent faire la fête. Je pense que l’enfant est ici une image de Jésus comme souvent dans les oeuvres de Michel de Ghelderode. En ce qui concerne la seconde pièce, que j’ai partiellement réécrite, il n’y a que des femmes, celles qui entourent la Vierge Marie dans sa maison, le lendemain de la crucifixion du Christ, qui parlent de leur rapport avec cet homme. Pour employer un terme plus contemporain, je crois que Jésus est une idole pour ces femmes. Il parle différemment, il est bel homme… On doit sentir qu’il y a une excitation, une admiration de ces femmes. Tous les rêves qu’elles ont pu projeter sur lui se brisent sur la croix. Cette discussion-compétition se termine par un endormissement général. Entre les deux pièces, il y aura une charnière musicale et lumineuse, que j’ai appelé « Le Golgotha », du nom de la colline où le Christ est mort. Pour moi ce qui unit les deux pièces, c’est cette indifférence de l’être humain qui discute beaucoup, qui a des opinions sur tout mais qui, finalement, ne fait rien bouger par peur, par détresse profonde. Ce constat, valable pour une Europe très contemporaine, je peux tenter de le mettre en scène car je ne suis pas un homme de théâtre engagé politiquement et que l’univers de Michel de Ghelderode me permet de parler d’aujourd’hui avec une parole de théâtre. Autrement je ne veux pas m’inscrire dans des engagements directement politiques, avec un langage politique. Mon seul engagement revendiqué, artistiquement aussi, c’est ma nationalité belge, en dehors des conflits linguistiques ou territoriaux.
En jouant aussi bien en français qu’en flamand, en Flandre, en Wallonie et à Bruxelles, je sais que je peux en déranger certains, mais je suis belge.


Le Cavalier bizarre est une pièce pour acteurs ; Les Femmes au tombeau pour actrices…


J.D.P. : Le Cavalier bizarre sera joué par six comédiens. Je jouerai le guetteur et j’ai trouvé dans des troupes amateurs, qui sont nombreuses en Belgique, les autres acteurs. Je les ai choisis pour leur présence sur le plateau, car le texte de Michel de Ghelderode n’est pas un texte psychologique. Michel de Ghelderode inscrivait cette pièce comme une « pochade » dans son oeuvre, une pièce écrite comme un croquis de peintre. C’est une farce. J’aimerais beaucoup que la traduction du texte fasse entendre différents patois flamands qui sont très nombreux dans notre région. Il faudra trouver la musicalité de la langue qui s’accordera avec la musique de Jan. Les Femmes au tombeau sont neufs comédiennes professionnelles d’âges différents qui vont avoir à chanter. J’ai demandé à Jan de composer des chants pour des voix de comédiennes, des voix humaines, et pas pour des voix de chanteuses lyriques. Mais les hommes de la première partie sont encore là présents, comme des dangers potentiels pour ces femmes cachées. Mon désir est qu’il y ait des parties parlées et des parties chantées mais que les deux puissent se faire ensemble.
Par exemple un dialogue parlé par deux actrices n’empêche pas que les autres actrices continuent à chanter en même temps. Cela pourrait ressembler à des lamentations.


Les influences catholiques sont-elles très présentes dans les deux pièces ?


J.D.P. : Je crois que, comme moi, Michel de Ghelderode est ambivalent quant à son rapport au catholicisme.
D’un côté il a été élevé dans une religion qui raconte de belles histoires bibliques, d’un autre côté la foi et la pratique qui va avec ont tendance à se dissoudre. Mais ces personnages bibliques, Marthe, Marie, Véronique, Madeleine sont des personnages vides aujourd’hui, que l’on peut remplir à notre gré. C’est ce que j’ai fait, avec l’accord des héritiers de Michel de Ghelderode, en réécrivant des parties de la pièce.

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