theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Extermination du peuple »

Extermination du peuple

+ d'infos sur le texte de Werner Schwab traduit par Henri Christophe
mise en scène Philippe Adrien

: A propos de la traduction d'Extermination du peuple

J'ai longtemps hésité à traduire Werner Schwab. Interpellé, convaincu, passionné par son écriture, je m'interrogeais sur la possibilité d'un passage de l'allemand en français, d'une civilisation à l'autre. Ecriture qui n'a pas d'équivalent en français, pas plus qu'en allemand d'ailleurs. Mais dont la nécessité, l'urgence sur laquelle elle se fonde la transcende et la révèle dans sa poétique.


Poétique constituée de plusieurs strates. D'abord, il s'agit déjà d'une "traduction" : de l'épais dialecte styrien que parlait Werner Schwab pendant son long séjour-retraite à la campagne en un allemand qui conserve un grand nombre de marques stylistiques de ce dialecte (le renforcement des prépositions par des préfixes par exemple, les redoublements adverbiaux, les ""erreurs" de conjugaison et de déclinaison, des particularités lexicales et syntaxiques) mais qui abandonne les colorations phonétiques inhérentes au dialecte. C'est un prolongement de la technique de Ödön von Horvath : "Chaque mot doit être prononcé dans la haute langue, à la manière toutefois de quelqu'un qui en général ne parle que le dialecte et qui s'efforcerait ici de parler haute langue. C'est très important ! Car chaque mot révèle ainsi, ne serait ce que par ce moyen, la synthèse entre réalisme et ironie".* La haute langue, celle de l'écrit, de la culture et des médias, représente bien souvent pour un Autrichien une sorte de langue étrangère, distincte de sa langue "maternelle", dialectale donc. Elle garde un caractère artificiel et lui sert pour l'analyse et la communication supra-régionale.


Horvath et Schwab utilisent ce procédé pour dévoiler et dénoncer l'inconscient, le refoulé, jamais pour caricaturer. Ils font apparaître ce que disent vraiment les mots alors qu'on entend plus leur contenu. L'objectif pour Werner Schwab est cette mise à nu des mots afin de faire sauter aux yeux du public l'idéologie qu'ils véhiculent, le passé qu'ils camouflent. Car la langue est chargée, et l'alcool ne nettoie pas tout, même s'il rince la mémoire jusqu'à ce que parfois, assez souvent, mort s'en suive…


La principale difficulté de la traduction était donc d'atteindre à cette "synthèse de l'analyse et de l'ironie" puisque la première strate, le passage du dialecte à la "haute langue", ne peut guère être mise en place en français. Quand bien même, au risque d'un artefact, on partirait d'un "patois" et en inscrirait les marques dans le "haut français", la pièce n'en deviendrait pas "française" pour autant. A moins de la réécrire complètement, d'en faire en somme une nouvelle pièce qui emprunterait à celle de Werner Schwab l'idée dramaturgique, et peut-être quelques uns des personnages.
Car une deuxième strate, l'ancrage et les références historiques spécifiques par exemple (le national-socialisme et l'Autriche, l'occultation systématique de ce passé récent pendant des années), la mentalité particulière de ce peuple, ne saurait elle non plus apparaître comme inhérente à la langue française.


Donc que faire, comment rendre compte en français de ce qui à mon sens fondait la démarche artistique de Werner Schwab, sans verser dans le commentaire et la paraphrase ?


Je connais intimement sa langue "primitive" pour avoir passé mon enfance à la campagne styrienne et fréquenté comme lui le lycée de Graz. Je connais ses personnages pour avoir vécu avec eux. Je sais de quoi il parle. Je dois être capable de traduire sa pièce, ayant toujours affirmé que tout était traduisible…Alors pourquoi hésiter encore ? Pourquoi douter que ça "passerait" en français ?


Ma première rencontre avec l'auteur a eu lieu à Vienne en 1991, l'année de la création d' Extermination. Il était beau, sympathique, peu loquace, plutôt enfermé. De ce côté-là ce n'était pas la "révélation". La pièce pourtant continuait à me tarauder. Un jour je m'y suis mis. J'essayais de procéder avec la même radicalité que lui, avec les moyens et dans le respect de la langue française, tout en sachant d'expérience (il m'est arrivé de traduire certaines pièces expressionnistes…) qu'elle ne s'y prêterait pas volontiers, qu'elle résisterait au traitement "schwabien". La langue allemande, elle, s'en languissait depuis longtemps comme en témoigne le succès public (pendant un moment, beaucoup de monde s'est mis à parler à la manière des personnages de Schwab).


J'ai conservé les noms propres en les traduisant puisqu'ils sont parlant : Pestefeu, Herrmann Ver (de terre) –c'est aussi le prénom véritable de l'auteur ; et, si Horvath veut dire " le Croate" en hongrois, Schwab - son nom d'emprunt – signifie "le Souabe" en allemand. D'où peut-être aussi la curieuse dédicace d' Extermination : "dédié à moi-même, l'auteur, le menteur au grand champs…"


En décembre 1993, à l'occasion de la 7e édition des Semaines du théâtre autrichien, intitulé Dérives, nous avons invité Werner Schwab au Théâtre du Rond-Point pour lire Extermination en allemand – traversée rapide, monocorde, à peine rythmée de la pièce – et assister ensuite à la lecture-spectacle en français que nous avions préparée. Ce fut le premier test. L'auteur, qui suivit sur la brochure en allemand, se réjouit des réactions du public et du fait qu'elles avaient lieu au même moment que lors de représentations en allemand. Il félicita les comédiens.


Trois semaines plus tard, Werner Schwab décédait.


Henri Christophe, Paris, novembre 1999




* Mode d'emploi in Heinz Schwarzinger, Ödôn von Horvath, repères, Actes Sud-Papiers 1992

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.