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Des voix sourdes

mise en scène Fábio Godinho

: Du texte à la scène

« Me voici à la veille de me mettre au service du théâtre. Je prends le risque avec bonheur. (…) Si j’échoue je serai un raté mais me domine l’espoir d’une vie pleine à déborder. Je risque mon âme, mais quel bonheur si je peux dire à la fin de ma vie : grâce à Dieu, j’ai risqué, mais j’ai gagné. »
Lettre de Koltès à sa mère


Cette vie pleine à déborder on la retrouve sans cesse dans ses personnages. La vie que Koltès a pleinement donnée au théâtre doit prendre forme à travers un partage humain et sincère. Mon désir avant tout, est de partager Des voix sourdes avec un public, et lui faire découvrir une autre écriture de Koltès. Un partage beaucoup plus large car on retrouve dans la création d’une pièce de Koltès un travail tellement jouissant pour tout artiste, allant du comédien, au metteur en scène englobant le scénographe, le musicien, le créateur lumière,…


Des voix sourdes a sollicité chez moi une nouvelle découverte de l’univers de Koltès avec tout ce qui l’entoure. Adapter une pièce au théâtre qui à l’origine a été écrite pour la radio, comporte maints questionnements sur le texte de théâtre. L’écriture de Koltès part comme il le revendique assez souvent d’un lieu, un lieu qui à lui seul raconte à peu près tout. Il disait que sa vraie écriture commençait avec La Nuit juste avant les forêts et ce qu’il avait développé avant était comme une sorte d’essais, de recherches. Se confronter à Des voix sourdes est avant tout aussi se confronter, en temps qu’artiste, à une autre époque de sa vie, celle avant l’Afrique. Ce texte date de 1974, Koltès était alors âgé de 26 ans, avec un pied à Strasbourg où il venait de terminer sa formation de technicien, en lumière, au Théâtre National de Strasbourg. En effet la lumière prendra à partir de ce moment une grande importance dans son écriture. Dans Des voix sourdes cette influence de la lumière devient nettement un élément de jeu. Une deuxième influence, dont Koltès n’a jamais parlé, est celle de la Russie.
Le déplacement et le voyage ont toujours été sa plus grande inspiration, et pour tout artiste qui se confronte à son oeuvre, cela est un point incontournable. L’URSS a été une de ses destinations en voiture de l’année 1973, un voyage qui ne le laissera pas indifférent. Le texte qui suit ce voyage est effectivement Des voix sourdes. L’ambiance froide, austère et dure, qui se déroule dans la pièce est en lien très proche avec celle de la Russie de cette époque.


« J’écris des langages comme de la musique, c’est-à-dire d’une manière abstraite à partir d’émotions concrètes. »
La voix est l’instrument primaire du langage, sans laquelle il nous est difficile de communiquer et pourtant Koltès pose dans Des voix sourdes un grand paradoxe. Des voix qui communiquent mais qu’on a du mal à entendre, à percevoir. Dans l’interprétation des symboles et des signes : être sourd, insinue que le statut social d’un tel est en danger. Chaque personnage est perpétuellement mis en danger par ses « compagnons » de jeu, un danger de vie qui traverse toute la pièce. La voix est avant tout le moyen dont l’être humain dispose pour exprimer ses opinions. Dans Des voix sourdes le destinataire de ces opinions est difficile à atteindre, car les protagonistes crient comme des sourds. Cette révolte de ne pas être entendu croît à l’intérieur de chacun jusqu’à éclater dans un bruit sec et sourd comme celui de l’orage. Ils essaient de donner sur tel mystère du monde une explication, mais arrivent-ils à faire passer leur message ? Des voix sourdes est un texte qui vient se manifester dans notre monde actuel, ces voix représentent un peuple en révolte que personne ne veut entendre. L’expression : « Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre » résume bien l’état des choses que nous vivons.


Les « voix de passages » (comme les nomme Koltès) seront directement faites sur scène par les comédiens à l’aide de divers micros avec des effets différents. Il y aura tout un travail sonore à fournir en ce qui concerne les voix, elles pourront nous amener également jusqu’au chant. Les comédiens viendront au fur et à mesure développer une ambiance sonore dans un espace qui sera dédié à cette occasion dans la scénographie.


Chaque comédien est aussi musicien et devra manipuler les différents effets sonores et également des instruments qui habilleront l’univers que je souhaite donner. Dans la mise en scène je ne cacherai rien au spectateur, il fait partie de la représentation et assiste à une pièce de théâtre. Le décor est à vue de celui qui regarde ainsi que le travail que le comédien fournit pour sa recherche scénique. Je souhaite traiter, à travers ces voix, la solitude de chacun, le désir envers l’autre, cette lutte des classes sociales que développe Koltès, un traitement particulier de la violence, et pour finir l’amour dans Des voix sourdes en le mettant en rapport avec notre quotidien, notre vie actuelle. Créer sur scène, comme le fait Koltès avec son écriture, un autre langage d’expression accessible à tous. Il élimine dans son écriture tout mot difficile et arrive à atteindre le plus grand nombre d’individus. Dans la même oeuvre il pose une dimension philosophique élaborée, en lien avec une sorte de philosophie brute, ou plutôt « populaire ».
Faire sortir ces voix intérieures, voix de la raison, en recherchant un chemin vers la douceur. Ces voix sourdes, voix intérieures seraient-elles inspirées de La voix du sang, ce tableau de René Magritte, où un arbre situé au milieu de la campagne, enferme une maison ? L’arbre où Stevan assassine Hélène est à la croisée d’un fleuve. Koltès serait-il parti d’un mouvement impressionniste pour nous accueillir dans un réel flambant et implacable ? Dans une lumière sombre, nocturne, on pourrait voir Anna à l’intérieur de cette maison comme lumière du futur.

Fábio Godinho

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