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Black-out

+ d'infos sur le texte de Lutz Hübner traduit par Jürgen Genuit
mise en scène Jürgen Genuit

: Happy ends vs. Bad ends par Lutz Hübner

Traductions d'un commentaire de l’auteur, février 2009

Notes


1
Cela se termine-t-il bien ou mal ? Voilà une question qu'on aime bien souvent poser concernant des histoires, seulement cette question reste superficielle. Il y a des nuances diverses, des « bad ends » transmettent dans le désastre total la graine d’un renouvellement, des « happy ends » se dévoilent - quand on y regarde de plus près - comme un cadeau empoisonné : les protagonistes se sont trouvés, mais comment vont-ils continuer à vivre avec le poids de ce qui s'est passé ?
Ou encore une fin apparemment ouverte, parfois semblant heureuse, peut être aussi poursuivie par la pensée vers une issue tragique. Exemple : Le Coeur d'un Boxeur. Léo quitte la maison de retraite, Jojo est heureux. Mais qui dit que Léo arrive dans le Sud de la France ? Ou même jusqu'à la gare ? L'histoire n'est pas toujours terminée avec sa fin et peut être imaginée dans tous les sens (et elle l'a été dans diverses mises en scène du Boxeur, où le son monotone d'un coeur artificiel suggère que la fuite n'est qu'un phantasme final de Léo). Bref, une « bad end » peut avoir un effet constructif, voire cathartique, un « happy end » peut déranger. Le degré d’euphorie, d’excitation ou de désillusion dans lequel un spectateur quitte un théâtre ne dépend pas avec une précision mathématique, de la fin « heureuse » ou « malheureuse » de l'histoire.


2
Quand l'auteur décide-t-il de la fin que connaîtra son histoire ? On n'est malheureusement pas le Dieu tout Puissant d'une histoire imaginée par soi, on ne décide que très peu, la plupart du temps ce sont les personnages ou la logique immanente de l'histoire, lesquels sont beaucoup trop souvent plus obstinés qu'une personne extérieure ne pourrait le supposer.
On ne peut pas tordre une histoire dans tous les sens au hasard. Si c'est une bonne histoire vivante elle devient rapidement autosuffisante – l'idéal de chaque auteur n'est pas de simplement prendre des notes[1], mais d’écrire, guidé par l’histoire elle-même[2]; cela signifie dans la pratique qu'une histoire porte en elle sa propre fin. Si on va à l'encontre de cette loi, s'installe alors chez le lecteur ou le spectateur cette impression incrédule : ça ne peut pas se terminer comme ça.
On sent l'odeur de la colle d'une dramaturgie qui à la fin a assemblé toutes les pièce ensemble pour éviter les dérangements et les bouleversements. Souvent cela se produit avec le théâtre pour la jeunesse et pour les enfants, afin de satisfaire l'idée du théâtre comme institution morale et pédagogique par le biais d'une obéissance qui se précipite en avant avec un appel au courage, à la solidarité et à d'autres vertus principales, à des vertus d'Etat. Cette anxiété oublie quelques règles basiques de la réception : aucune histoire n'est purement expliquée et réfléchie à partir de sa fin. Si une pièce de théâtre possède ne serait ce qu'un minimum de dialectique, ce qui fait les bonnes histoires, alors la courbe de l'histoire et des personnages déterminera l'identification et l'appréciation des personnages.
Quand et comment le personnage s'est-il comporté et comment je me comporte face au comportement des personnages ? Comment aurais-je réagi, où sont les erreurs des personnages, où ont-il été surprenants, où est-ce que je les juge, où suis-je d'accord avec eux ?


3
Plus une histoire présente, non seulement clairement des psychologies mais aussi un contexte spécifique qui les marque et par lequel ils ont été marqués, plus tôt un public qui connaît ce contexte depuis son propre point de vue se positionnera face au comportement des personnages. Non seulement, le fait que l'histoire se suffit à elle-même définit son déroulement, mais aussi le fait que le milieu se suffit à lui-même.
L’exemple de Black-out : une pièce dans laquelle une enseignante et un élève glissent dans une histoire dont le déroulement est conditionné par leurs positions sociales (dans ce cas : scolaire). Ils essaient de trouver un chemin à eux qui n'a pas été prévu dans le système scolaire (ou dans la société). Non seulement leurs positions inébranlables (enseignant-élève) - avec toutes les contraintes qui en résultent - les handicapent, mais il y a aussi, purement et simplement, leurs erreurs de communication. Elle rend visite à ses parents, ce que lui ressent comme une trahison ; lui comprend une demande de la débarrasser d'une tentative de chantage qu’elle a reçue comme une carte blanche à la violence. Pourtant, il existe chez tous les deux la volonté de comprendre la vision du monde de l'autre, et même si les deux échouent dans leur projet commun, les positions de chacun sont devenues perméables : voici le « happy end » qui se cache dans le « bad end ». Chris ne sera plus le fier-à-bras de l'école qui cache son malaise derrière des poses de macho. Julika a appris sur ceux à qui elle enseigne et sur les contextes plus larges dans lesquels son travail s'inscrit.
Les élèves des Hauptschule[3] en Allemagne savent de quel milieu il est question, ils savent quelles règles ont été franchies par la conspiration (voulue et pas voulue) des deux. Ils ne sont pas excités par l'idée de savoir si Chris réussit son examen ou pas, mais par la question de comment il gère cette situation qui eux-mêmes les dépasserait. Ils sont intéressés par ce qui se passe dans la tête d'une enseignante (cela intéresse tous les élèves).
Il y a une foule de situations uniques à travers lesquelles ils étudient le point de vue de Chris, mais ils remarquent aussi – pour le dire familièrement – que les profs ont aussi leurs nerfs (comme des antipathies, des frustrations, des perplexités). Ils voient (et nous re-voilà à une prémisse de Brecht) un combat de boxe, ils veulent voir qui se bat et de quelle façon. Comment les deux se comportent l'un avec l'autre ? Pour rester dans la même image, un « happy end » dans Black-out serait comme un arbitre qui lève dans le dernier round les bras des deux combattants et déclare souriant que les deux ont gagné, parce que cela est toujours si beau quand les jeunes font du sport !


4
Les élèves, et particulièrement ceux, qui ne sont pas au lycée ou dans d'autres écoles d'élites, savent très bien quel avenir se présente à eux. Par le biais du théâtre on doit les amener à réfléchir à leur propre situation et à leur propre comportement. Ils sentent intuitivement quand on s'efforce de leur « enseigner » quelque chose et quand le message, pré-établi pour le cahier de vocabulaire, brille à la fin, en couleur rose sur scène.
Le sens et le but d'une pièce de théâtre ne sont jamais le message, mais la discussion, la réflexion et la question, pourquoi les choses sont comme elles sont et ce qu’on peut y changer. C'est pour cela qu'une histoire doit être dure et crédible. S'il n'y a pas de solutions rapides dans la vie, alors elles ne doivent pas non plus exister sur scène. Le message de Black-out n'est pas « de toute façon, vous ne pouvez rien faire » mais « qu'est-ce que vous pouvez faire ? »
On devrait inviter son public à réfléchir mais on ne devrait pas penser à sa place. Le point de départ de Black-out est le fait qu'il existe un système scolaire (en Allemagne) qui trie des jeunes et qui se trouve souvent marginalisé par l'Etat, malgré tous les beaux discours. Si, loin des cours, la pièce donne une fois aux élèves et aux enseignants la possibilité de réfléchir à leurs conditions, alors elle atteint son objectif. Pour cela il faut prendre au sérieux les deux côtés et cela veut dire qu'il faut donner à la pièce la fin qui lui est appropriée.

Notes

[1] En allemand, aufschreiben (Note du Traducteur)

[2] En allemand. Mitschreiben (Note du Traducteur)

[3] Le système scolaire allemand propose après l'école maternelle trois écoles différentes selon les niveaux des élèves. La « Hauptschule » (« Ecole Principale ») représente l'école basique et le plus bas niveau dans le système scolaire allemand. Si, il y a vingt ans encore, les élèves sortant de cette école entraient directement en apprentissage ou dans des filières techniques, le niveau de cette école a énormément baissé ces dernières années. On pourrait le comparer à celui des « SEGPA » des collèges en France. Il faut mentionner qu'un fort pourcentage des élèves qui intègrent cette école sont des enfants appartenant à des familles d'immigrés, ce qui influence et fausse autant la perception de cette école, que celle de l'immigration. Il va sans dire que les perspectives de formations ou encore de réussite sociale pour des élèves sortant de cette école sont extrêmement faibles. (Note du Traducteur)

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