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Berthollet

mise en scène Mathieu Bertholet

: Entretien avec Mathieu Bertholet

Propos recueillis par Mélisende Navarre / médiatrice culturelle

L’auteur, danseur et metteur en scène Mathieu Bertholet et sa cie MultiFunktionsTheater (MuFuThe) débarquent au Crochetan pour une résidence de 3 ans. Personnage novateur de la scène théâtrale, il a pourtant choisi de travailler sur un auteur bien de chez nous : Charles-Ferdinand Ramuz, en adaptant pour le théâtre Berthollet, Derborence et Farinet ou la fausse monnaie.

Berlin pendant 10 ans, Los Angeles, Genève, Lyon, Paris où vous avez créé L’avenir, seulement au Théâtre de Genevilliers il y a 2 ans, vous revenez pourtant régulièrement en Valais alors que vous en êtes parti à l’âge de 20 ans. Est-ce un hasard, une nécessité ou un choix ?


C’est sans doute un hasard si je suis né en Valais, et puis ça a été une nécessité de partir, loin, parce que de loin, on voit mieux parfois, et puis parce qu’il fallait se nourrir, grandir, apprendre, se former et que les opportunités sont rares par chez nous, et que nul ne peut être prophète, novateur ou révolutionnaire chez lui… Et c’est un choix, si j’y reviens régulièrement, toujours, tout le temps. J’ai besoin de cet air, de ces montagnes, de l’eau de la piscine des Bains de Saillon.


Comment s’est décidée cette résidence au Crochetan ?


Une compagnie, de nos jours, court les opportunités, enchaine les créations, et a rarement l’occasion d’approfondir son travail, de s’arrêter sur un sujet, d’apprendre en tant que collectif, de travailler ensemble sur la durée. Le Crochetan est un des rares lieux en Valais qui s’engage et qui soutient vraiment la création locale, et ce depuis longtemps. Nous allons essayer de travailler dans le plus d’espaces possibles à travers la ville de Monthey, des lieux moins conventionnels, pour aller justement contre cette nécessité de jouer toujours dans de belles boîtes noires de théâtre tout confort, avec une scène, des rangées pour les spectateurs et des rampes pour les projos… Nous allons essayer d’aller au plus près de la population, en jouant dans des salles de classes, à la Salle Centrale, et puis, plus tard peut-être à travers les rues de la Ville.


Vous avez dansé pour Cindy Van Acker et Foofwa d’Immobilité, votre frère qui fait partie de la cie MuFuThe a dansé pour Cisco Aznar. La danse contemporaine est très présente dans votre théâtre. Comment le nourrit-elle ?


D’une certaine manière, par le corps on peut dire les choses autrement que par les mots, on peut justement plutôt faire que dire, montrer plutôt que s’épancher en mots. Par le biais de la danse, je peux encore créer plus en mettant en scène mes mots. Je peux, plutôt que de simplement faire dire mes mots par des acteurs avec la bonne intention, le jeu juste, dans la bonne direction, je peux leur faire dire quelque chose avec leur bouche, et autre chose avec leur corps. Et en même temps, cela rend le spectateur très actif : comme la parole dit une chose et le corps en dit une autre, pas forcément opposée, mais généralement différente, il doit choisir, ou réunir ces deux messages pour ressentir ce qui se dit sur le plateau entre le texte et le corps.


Qu’est-ce qu’a impliqué ce travail d’écriture dramatique et quelles sont vos intentions de mise en scène?


Ce qui restera : le ton de Ramuz. La terre qu’il décrit, le pays, les gens. Il y a une manière très particulière de raconter dans ses textes: on ne sait jamais vraiment qui parle, ou d’où ça parle. Et cette question, d’où ça parle, est cruciale au théâtre, parce que le spectateur voit toujours d’où ça parle : il y a un acteur, il a une voix, il parle : qui est-il ? Est-il Berthollet ? Le narrateur qui raconte la vie de Berthollet ? Le curé de village qui raconte la confession de Berthollet ? La choralité est une des solutions que nous envisageons pour trouver la narration théâtrale de l’écriture ramuzienne: choralité absente de l’acteur seul de BERTHOLLET, choralité des femmes seules au village contre le/face au choeur des hommes morts dans l’alpage de DERBORENCE. BERTHOLLET est un monologue pour un acteur. Même un homme seul peut-être un choeur, si les gestes et les paroles qui le traversent sont les ruines des générations d’hommes qui l’ont précédé.
Nous allons fabriquer le monologue BERTHOLLET, le travailler avec six acteurs. J’aimerai que ce solo soit joué par chacun d’entre eux, à tour de rôle, parfois, deux fois à la suite, parfois seulement une fois, et de temps en temps par les six acteurs, dans une forme qui reste à inventer.


Qu’est-ce qui vous intéresse dans l’oeuvre de Ramuz ?


Il y a chez Ramuz une obsession que j’espère partager avec lui : atteindre à l’universel au travers du régional, du particulier, du microscopique. Ramuz amène non pas des réponses, mais d’autres questions, d’autres images pour les débats qui animent le Valais en ce moment : qui est Valaisan ? Qui a le droit de parler en tant que Valaisan ? Qu’est-ce que c’est qu’être de quelque part ? Le théâtre est vraiment le lieu de ce débat. Parce que les origines, c’est une terre, mais c’est aussi une culture, un artisanat, des arts… Et nous les artistes, contrairement à ce que certains prétendent, nous nous devons de participer à ce débat pour ne pas laisser n’importe qui prendre possession de la patrie et en faire une arme d’exclusion massive. Le théâtre est un art valaisan. On en jouait dans tous les villages. Et ce n’est ici sans doute pas le lieu, mais je tiens à le dire quand même, parce que l’occasion est trop bonne. On dira que c’est le théâtre amateur qui est valaisan, et que du coup on n’a pas à soutenir le théâtre professionnel, intellectuel, contemporain, qui n’est pas pour nous. Il faut soutenir le théâtre populaire !

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