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+ d'infos sur le texte de Spiro Scimone traduit par Jean-Paul Manganaro
mise en scène Olivier Cruveiller

: Entretien avec Olivier Cruveiller

À la fois dedans et dehors : séduit par Bar de Spiro Scimone, Olivier Cruveiller porte le spectacle avec la double casquette d’acteur et de metteur en scène. Petite plongée en sa compagnie dans les coulisses du projet qui verra le jour dans la salle de la Fabrique le 1er octobre prochain.


Yannick Hoffert : D’où vient votre intérêt pour l’écriture de Spiro Scimone?


Olivier Cruveiller : J’ai eu l’occasion de découvrir cet auteur en 2005, à Orléans, lors d’une session de l’Atelier Européen de la Traduction. Il y a présenté Il Cortile. J’ai aimé sa manière d’assumer ouvertement l’héritage de Beckett ; j’ai également été séduit par sa capacité à explorer d’autres enjeux que ceux de l’écriture de soi. Il n’écrit pas à la première personne, et se tourne vers ses congénères.
Chez un Lagarce ou un Kafka, par exemple, la question centrale reste, la plupart du temps, celle de la confrontation entre le moi – celui de l’écrivain – et le monde. Spiro Scimone fait partie plutôt de la catégorie des écrivains observateurs, ceux qui regardent le monde, leur époque, pour essayer de l’appréhender. De cet effort pour se quitter, son théâtre tire une force politique.


Y. H. : Après les deux duos Nunzio et Bar, Spiro Scimone a écrit deux trios, La Festa et Il Cortile – son dernier texte, La Busta, publié en 2006, n’est pas encore traduit en français. Pourquoi le choix de Bar parmi les textes de Spiro Scimone?


O. C. : Ce texte bref – la représentation dure une petite heure – me touche tout particulièrement par son acuité. Il est des textes que l’on a envie de jouer, d’autres que l’on rêve de monter ; Bar s’adresse en moi, simultanément, à l’acteur et au metteur en scène. C’est pourquoi je joue un rôle dans ce spectacle que je dirige, en collaboration avec Nathalie Akoun. Spiro Scimone est lui-même acteur et metteur en scène; il lui arrive fréquemment d’être les deux dans le même spectacle. À cet égard, je me sens proche de lui ; par ailleurs, j’adhère pleinement à son langage direct, sec comme une volée de pierres, vif, profondément juste. Mais Bar est également un projet d’équipe: avec Nathalie, que j’ai mise en scène dans Une histoire de clés, avec Pierre Peyronnet à la lumière, avec Olivier Peduzzi, qui élabore la scénographie, nous formons une bande. Et Philippe Fretun qui est pour moi un des plus grands acteurs de sa génération, est un compère avec qui j’avais envie de travailler à nouveau.


Y. H. : Comment caractériseriez-vous cette écriture?


O. C. : Spiro Scimone a le sens de la scène et, tout particulièrement, du temps vécu de la représentation. Son texte est une partition, avec une écriture très précise du rythme, des temps, des silences. Quantité de choses se disent et se jouent dans ces moments où rien ne semble se dire, où rien ne paraît se passer.


Y. H. : Bar est un duo; toute l’action s’articule autour de la relation entre ces deux égarés, dont on saisit des fragments de parcours au fil de quatre scènes, comme autant d’instantanés. Comment percevez-vous ce couple de théâtre, que vous incarnez avec Philippe Fretun?


O. C. : Les deux personnages s’inscrivent dans un schéma tout d’immédiateté: action / réaction. À aucun moment, sauf dans quelques répliques du dénouement, ils ne prennent de recul par rapport à la situation où ils se trouvent. Au plus bas de l’échelle d’un système d’économie mafieuse, ils n’ont aucune possibilité d’accéder à un regard surplombant sur ce qu’ils vivent. Voyez, par exemple, le mode d’argumentation des personnages.
Le dialogue donne à voir une pensée qui progresse pas à pas, méticuleusement, très petitement. Aucune ellipse de la pensée: réplique après réplique, comme pierre après pierre, ils élèvent leur mur, très doucement. Dans une grande petitesse.


Y. H. : Personnages dissemblables et complémentaires, duo dérisoire de l’attente, écriture des temps et des silences, effort visible d’une pensée laborieuse: il flotte sur Bar un parfum beckettien. Bar, une sorte d’En attendant Godot qui aurait dérivé en Méditerranée pour trouver son ancrage dans ce petit morceau de société qui sent l’Italie ou la Sicile?


O. C. : J’ai tendance à percevoir le texte de cette manière. D’autant que Gianni, comme Godot, est celui dont il est toujours question, et qui ne paraîtra jamais sur scène. Gianni est une sorte de Godot décalé. Et, bien sûr, comme Vladimir et Estragon, Nino et Petru ne sont pas seulement comiques. Ils baignent dans une dérision, dans un rire qui ouvre à autre chose.
Je pense aux personnages de Pasolini, dans Accatone: ils ont la grâce et ils ne le savent pas. Une musique de Bach nous fait soudain comprendre qu’ils l’ont. Par leur naïveté, par leur innocence absolue, par leur attitude merveilleusement enfantine, Nino et Petru sont à la fois dans la grâce et dans l’ignorance de leur grâce.


Y. H. : Mais il se pourrait que Nino soit l’assassin de Gianni...


O. C. : Oui. Le texte ouvre à cette possibilité. Et ne comptez pas sur nous pour lever l’ambiguïté...


Y. H. : Vous êtes en train d’élaborer, avec Olivier Peduzzi, l’espace du spectacle. Dans quelles directions votre travail s’oriente-t-il?


O. C. : Le spectacle sera créé à la Fabrique. Je suis très heureux de pouvoir disposer de ce lieu, qui a une histoire en dehors de son état actuel de salle de spectacles : c’est un ancien atelier de décors, il fait partie de l’ensemble de la Manufacture des tabacs. Je revoyais récemment des mobiles de Calder : récupérer des objets industriels pour en faire de l’art, voilà un principe qui convient à l’atmosphère que je souhaite pour Bar. Prenant le parti d’une structure bifrontale, nous allons vider la salle de tous ses oripeaux théâtraux, utiliser des sièges de récupération pour asseoir le public, habiller les murs de diverses matières. Le spectateur se trouvera dans un entre-deux, à la fois ancien entrepôt et salle de spectacles. Peut-être pourra-t-il, l’espace d’un instant, oublier cette dernière?


Propos recueillis par Yannick Hoffert

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