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Bar

+ d'infos sur le texte de Spiro Scimone traduit par Jean-Paul Manganaro
mise en scène Olivier Cruveiller

: Dans le microscope

Depuis Nunzio, sa première pièce, Spiro Scimone applique une loupe âpre sur des microcosmes misérables. Il y découvre des êtres aux élans contradictoires, entre bouffées de courage et petites lâchetés, entre rêves d’ailleurs et amour de leurs chaînes. Il y voit les marques d’un univers social où la part de l’humain se réduit. Chaque drame, «miroir de concentration», comme disait le jeune Hugo, présente un morceau d’univers riche de densité humaine.
Bar renferme davantage que l’univers du bar. Il contient bien des rêves, des renoncements, des élans, des moments de lucidité foudroyante. Mais il parle avant tout de cruauté, et des liens qui permettent presque de l’affronter. C’est notamment d’un certain fonctionnement social qu’il s’agit, d’un monde fondé sur des rapports d’exploitation, au sein d’une hiérarchie mafieuse impitoyable.
«L’important c’est de ne pas fermer le bar», se répètent Nino et Petru, pour repousser le moment du face-à-face avec ceux qui les attendent à l’extérieur, au moment de la fermeture. Seulement là, dans l’arrière-salle du bar, dans ce lieu misérable et protégé, se peuvent imaginer des rapports fondés sur l’humanité de chacun.
Le bar, ou le théâtre. Là où tout peut être imaginé, encore.
Avec son compère de jeu Francesco Sframeli, Spiro Scimone chemine vers un théâtre essentiel, synonyme de relation et d’écoute.
Un théâtre, essentiellement : un endroit où des gens se rendent pour voir – vraiment voir – d’autres gens, qui vivent. Un lieu où l’on se sait vivre ensemble. Un espace où se tisse, dans l’écoute mutuelle, la magie d’une relation éphémère, que l’on espère profonde. «Notre point de départ à Francesco et à moi, ce sont les rapports humains, vraiment humains – la relation entre», affirme l’auteur. D’où sa préférence, en observateur méticuleux, pour les duos, comme dans Nunzio et Bar, ou les trios, comme dans La Festa et Il Cortile. Les textes de Scimone procèdent du travail de la scène; ils ont d’abord une réalité physique.
L’essentiel, toujours. Si l’acteur Spiro Scimone a abordé le territoire de l’écriture, c’est «pour imaginer une partition à jouer», d’abord dans la langue sicilienne de Messine, qu’il apprécie en musicien: «Le son du sicilien est grave, profond, fermé, percussif et métallique». La partition n’est rien sans l’interprète et les textes de Scimone se savent en attente d’acteurs. Ses textes précis, aigus, peuvent paraître secs : c’est qu’ils fourmillent de relations à habiter, de silences à faire vivre. Et la sécheresse se gorge de vie et d’humanité pour révéler un talent d’observateur, une sensibilité aiguë qui se tourne vers ces existences immensément petites, toujours enfermées : qu’il s’agisse de la cuisine de la Festa, de la chambre de Nunzio, de l’arrière-salle de Bar ou de la cour encombrée de détritus dans Il Cortile, les pièces de Scimone fixent l’attention sur des univers aux horizons bouchés, grouillants de vies étouffées.
Elles invitent à constater que, contre tous les pronostics, la vie persiste.
Une arrière-salle, entre bar et poubelles. Leur monde est minuscule.
Il semble sans issue. Il n’est pas sans chaleur. Deux hommes, seuls, mais ensemble face à un monde dont la cruauté les noie d’avance. Le monde de Bar nous regarde. Il nous demande ce que nous faisons de lui.

Yannick Hoffert

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