: Dans le microscope
Depuis Nunzio, sa première pièce, Spiro Scimone applique une loupe
âpre sur des microcosmes misérables. Il y découvre des êtres aux élans
contradictoires, entre bouffées de courage et petites lâchetés,
entre rêves d’ailleurs et amour de leurs chaînes. Il y voit les marques
d’un univers social où la part de l’humain se réduit. Chaque drame,
«miroir de concentration», comme disait le jeune Hugo, présente
un morceau d’univers riche de densité humaine.
Bar renferme davantage que l’univers du bar. Il contient bien
des rêves, des renoncements, des élans, des moments de lucidité
foudroyante. Mais il parle avant tout de cruauté, et des liens qui
permettent presque de l’affronter. C’est notamment d’un certain
fonctionnement social qu’il s’agit, d’un monde fondé sur des rapports
d’exploitation, au sein d’une hiérarchie mafieuse impitoyable.
«L’important c’est de ne pas fermer le bar», se répètent Nino et
Petru, pour repousser le moment du face-à-face avec ceux qui les
attendent à l’extérieur, au moment de la fermeture. Seulement là,
dans l’arrière-salle du bar, dans ce lieu misérable et protégé, se
peuvent imaginer des rapports fondés sur l’humanité de chacun.
Le bar, ou le théâtre. Là où tout peut être imaginé, encore.
Avec son compère de jeu Francesco Sframeli, Spiro Scimone chemine
vers un théâtre essentiel, synonyme de relation et d’écoute.
Un théâtre, essentiellement : un endroit où des gens se rendent
pour voir – vraiment voir – d’autres gens, qui vivent. Un lieu où l’on
se sait vivre ensemble. Un espace où se tisse, dans l’écoute mutuelle,
la magie d’une relation éphémère, que l’on espère profonde. «Notre
point de départ à Francesco et à moi, ce sont les rapports humains,
vraiment humains – la relation entre», affirme l’auteur. D’où sa préférence,
en observateur méticuleux, pour les duos, comme dans Nunzio et
Bar, ou les trios, comme dans La Festa et Il Cortile. Les textes de Scimone
procèdent du travail de la scène; ils ont d’abord une réalité physique.
L’essentiel, toujours. Si l’acteur Spiro Scimone a abordé le territoire de
l’écriture, c’est «pour imaginer une partition à jouer», d’abord dans
la langue sicilienne de Messine, qu’il apprécie en musicien: «Le son du
sicilien est grave, profond, fermé, percussif et métallique». La partition
n’est rien sans l’interprète et les textes de Scimone se savent en attente
d’acteurs. Ses textes précis, aigus, peuvent paraître secs : c’est qu’ils
fourmillent de relations à habiter, de silences à faire vivre. Et la sécheresse
se gorge de vie et d’humanité pour révéler un talent d’observateur,
une sensibilité aiguë qui se tourne vers ces existences immensément
petites, toujours enfermées : qu’il s’agisse de la cuisine de la Festa, de
la chambre de Nunzio, de l’arrière-salle de Bar ou de la cour encombrée
de détritus dans Il Cortile, les pièces de Scimone fixent l’attention sur
des univers aux horizons bouchés, grouillants de vies étouffées.
Elles invitent à constater que, contre tous les pronostics, la vie persiste.
Une arrière-salle, entre bar et poubelles. Leur monde est minuscule.
Il semble sans issue. Il n’est pas sans chaleur. Deux hommes, seuls, mais
ensemble face à un monde dont la cruauté les noie d’avance. Le monde
de Bar nous regarde. Il nous demande ce que nous faisons de lui.
Yannick Hoffert
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