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: Dramaturgie

Nous pensons généralement que nous avons réellement fait l’expérience de quelque chose lorsque quelque chose se modifie dans notre perception. Comment l’Histoire, et comment une histoire, peuvent-elles se cristalliser dans l’esprit ? Comment peuvent-elles s’incorporer ? Par la pensée comme idée du corps ? Ou bien par le corps comme machine à remonter le temps ? Voici des questions pour le théâtre ou pour la danse. Que raconte le texte de Dostoïevski ? Une histoire d’amour qui finit par le suicide d’une jeune femme. Devant le cadavre de sa femme, un homme se remémore et tâche de comprendre. De quelle expérience nous font part les poèmes de Gottfried Benn ? Celle de « la sérénité de l’esprit désespéré », celle d’un médecin pendant la guerre, observant les tables de dissections anatomiques, fréquentant les morgues, côtoyant la mort.


UNE PIÈCE PALIMPSESTE


Le mot de « palimpseste » désigne la manière de travailler. Les textes choisis fonctionnent comme des mécanismes d’évocation pour élaborer la partition, la didascalie de la pièce. Bal perdu est le poly-palimpseste des pensées, textes, actions effacées, matières et sources diverses du travail sur les Faux Bals. L’inspiration essentielle du travail du palimpseste est empruntée à Paysage sous surveillance de Heiner Müller. D’après les notes de Heiner Müller, sa pièce « décrit un paysage par-delà la mort. Explosion du souvenir dans une structure dramatique qui a dépéri. L’action est ce qu’on veut puisque les conséquences sont du passé ». Bal perdu peut être vu comme une réponse à Paysage sous surveillance et à l’écriture singulière « post-dramatique » et « post-épique » de Heiner Müller : après l’explosion d’un souvenir. Bal Perdu peut être lu comme une divagation autour du livret d’un opéra de Bartok, un rêve de l’héroïne de La douce de Dostoïevski qui citerait Gottfried Benn …


UNE PIÈCE QUI S’INSPIRE DU THÉÂTRE NÔ


Bal Perdu s’inspire de la composition des pièces du Théâtre Nô, ces pièces du théâtre classique japonais, vieilles de plusieurs siècles. Un personnage se remémore, se raconte, l’autre interroge et écoute. L’un et l’autre des deux personnages, parlant de l’un et l’autre, s’y laissent prendre à parler d’eux-mêmes, comme en miroir. Comme dans une pièce de Nô, il s’agit de trouver théâtralement comment donner corps, non à un personnage, mais à un « cadavre » dédoublé en deux apparitions.La répétition et ses variantes ; les procédés de mises en écho, la compression des temps qui mêle actions présentes passées et futures, aident à construire, par montages et associations, cette fiction de théâtre. Les morts n’y ont plus qu’une idée, celle de revenir à leur cadavre, de le reprendre pour aller de l’avant, dirait Artaud.


UN TEXTE ? UNE DANSE ?


Les pièces du cycle des Faux Bals ne sont pas des pièces déjà écrites par un auteur et qu’un metteur en scène choisit de « monter ». Les pièces de Faux Bals sont le résultat théâtral de la collaboration artistique de plusieurs artistes : metteurs en scène (Marie Lamachère, Royds Fuentes- Imbert), plasticien (Michaël Viala), acteurs (Michaël Hallouin), musiciens… Les modalités nomades des collaborations entre ces artistes fort éloignés géographiquement, changent sur chaque pièce en fonction des conditions de travail réunies. Les textes publiés du cycle Faux Bals (Chant de la tête arrachée et Barbe-Bleue, l’opéra de l’homme amer, aux éditions l’Entretemps), sont les traces des spectacles une fois créés. Elles ont été réécrites en vue d’une publication par un des metteurs en scène d’Interstices, Royds Fuentes-Imbert, qui est aussi poète, et signe alors en son nom la trace réécrite sous la forme d’un poème dramatique


Cette fois, Marie Lamachère propose, avec la pièce Bal perdu, une danse macabre, une réécriture sous la forme d’un "Pas de deux" chorégraphique (Adage, Variation masculine, Variation féminine, Coda) librement inspiré de plusieurs textes sources du cycle des Faux Bals.


L’ARGUMENT ?


Bal Perdu commence par le récit d’un homme, médecin de profession, devant le cadavre de sa femme qui vient de se suicider (une adaptation de la nouvelle de Dostoïevski La douce). S’ensuit une exploration de la part silencieuse du texte de Dostoïevski. Nous assistons à la dilatation de l'instant où cette femme, encore en vie, un revolver à la main, le canon posé sur la tempe de son mari, a hésité, un instant, à le tuer dans son sommeil (ses rêves, ses pensées, ses fantasmes, ses associations d’idées, son "cerveau" à l'instant de ce choix). Elle choisit finalement de ne pas tirer cette "balle perdue". Cette "lutte effrayante", ce "combat à mort" selon les mots de Dostoïevski, est le coeur de la pièce Bal perdu. C’est un combat entre soi et soi, entre soi et l'autre, qui se joue à cet instant précis, combat qui peut aussi ressembler à une danse.


Qui j’étais. Qui ELLE était, ELLE. LUI, qui était-il ? LUI : Comment s’appelait-il ? quel était son prénom ? Werff. Son nom ? Werff Rönne. Qui était-il ? Un médecin légiste ? Un médecin militaire ? Barbe-Bleue de Yopougon ? ELLE: Judith Corbaz ? une infirmière ? sa femme ? sa complice ? Elle : La douce ? Lui : Le plus noble des hommes ? Mais je n’y crois pas moi-même. Deux par table. Hommes et femmes tête-bêche. Proches, nus mais sans douleur. Crâne ouvert. Poitrine en deux.


UNE DRAMATURGIE DE L’ACTEUR


Il n’y a que des corps et des langages, sinon qu’il y a des vérités.
Alain Badiou


Pour penser l’art de l’acteur, Marie Lamachère travaille sur la manière dont le Butô et le Nô peuvent influencer la dramaturgie théâtrale, et s’inspire des thèses développées par Walter Benjamin dans son essai sur Le Conteur. La mise en scène s’élabore comme un montage de « partitions d’actions physiques » qui peut extérieurement s’apparenter à une danse. Sa singularité réside dans l’alliance entre paroles et actions. Pour se préparer les acteurs, ont suivi plusieurs master class avec Mark Tompkins, Alain Buffard, Cécile Loyer. En outre, pour ses acteurs, la compagnie Interstices a invité le chorégraphe Murobushi Kô et la metteur en scène Antonia Mercedes Fernandez Vergara, à dispenser des enseignements spécifiques sur le Butô et les « actions physiques ».

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