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Attitude clando

mise en scène Dieudonné Niangouna

: Entretien

Entretien avec Dieudonné Niangouna



Votre texte est un monologue. Pensez-vous que pour toucher à l’universel, il faut en passer par l’individuel ?


Dieudonné Niangouna: Il me semble en effet que c’est souvent indispensable. On explique mieux les choses quand on essaye de les “personnaliser”. À l’origine de mon projet, il n’y avait pas l’intention de raconter la clandestinité en général mais celle de faire parler un personnage anonyme sur son état de clandestin à partir des rencontres qu’il fait et des influences qu’il subit.


Pourquoi avoir situé le lieu du récit dans un hôpital ?


À une certaine époque, c’était les religieux qui pouvaient décider quand vous étiez en vie et quand vous étiez mort ; aujourd’hui, pour moi, ce sont les docteurs qui ont pris ce pouvoir. Ce sont les médecins qui signent l’acte de naissance et l’acte de décès, et même si vous respirez encore et que l’acte est signé, vous partez à la morgue… Cette symbolique du docteur qui a droit de vie et de mort est très importante pour moi et c’est la raison de mon choix quand au lieu où se développe la parole du clandestin.


Mais votre hôpital est entouré de barbelés, est-ce aussi une prison ?


Mon hôpital n’est pas vraiment nommé comme tel. C’est un lieu entouré de murs blancs et de barbelés. Ce peut être une prison, un camp d’internement, un asile psychiatrique. Ce que je désirais c’est que ce soit surtout un lieu où l’on peut penser qu’il est difficile, voire impossible de partir et de revenir, un peu comme une grande frontière, une frontière à l’intérieur d’une autre frontière. Il y a dans notre vie des lieux de cette nature, parfois des ambassades où l’on se voit refuser des visas et qui sont souvent entourés de ces grands murs blancs avec des barbelés.


L’hôpital, où tout autre lieu d’enfermement, est-il le lieu de la parole ?


Ce n’est pas un lieu où l’on peut parler publiquement. Mais mon monologue est un monologue intérieur, comme une pensée qui s’évade involontairement. Même quand le “clando” parle au médecin, il parle à un absent. Par contre la parole, même intérieure, est un moyen de s’échapper du lieu d’enfermement et donc un moyen de pénétrer d’autres univers plus accueillants, qui tendent la main dans ces moments de désespoir. Il y a une possibilité d’atteindre le champ poétique ou lyrique qui permet de casser les murs et de franchir les frontières en dehors de tout réalisme.


N’y a-t-il pas pour votre “clando” un refus de tout contact ?


Lorsque le “clando” refuse quelque chose du monde extérieur, lorsqu’il refuse certaines rencontres, notamment une personne de sa couleur, c’est dans un refus des étiquettes. Pour lui, tous les noirs ne sont pas “des cousins” et les images de cartes postales lui font horreur. Il ne lutte pas pour être en règle, il ne lutte pas pour ne pas être en règle, il lutte simplement pour être “lui”. Il refuse donc d’être “classifié”, d’être dénaturé. Le clandestin est la grande invention du XXe siècle, et cela dépasse le cadre des frontières ou des continents. On a créé une nouvelle catégorie d’individus avec des corps et des cerveaux différents qui me font toujours penser à une formule qu’on emploie au Congo : “Je suis mort il ne me reste plus qu’à pourrir”.


Votre récit est très construit, mais cette construction n’est-elle pas une volonté de déconstruction systématique sans récit linéaire?


J’aime la déconstruction parce que c’est pour moi le seul moyen que j’ai trouvé pour écrire. Ce n’est pas par souci de facilité mais par nécessité. Le développement linéaire ne me permet pas la liberté dont j’ai besoin, et je sens que beaucoup de choses m’échappent. La voix narrative m’intéresse moins que le tréfonds poétique des personnages. Il faut d’abord qu’une voix chante librement pour que je puisse développer tel ou tel aspect de mon récit qui peut se construire ensuite aussi bien sur des allers retours que sur des continuités, même si je préfère les allers retours qui me permettent de mieux visiter les univers que je traverse. Je ne crains pas ce qui pourrait être du sur place, je ne crains pas les spirales, je ne crains que le linéaire qui va d’un point à un autre.



Le français est votre langue d’écrivain ?


Oui, car ma langue maternelle est le lari que l’on parle à Brazzaville parmi d’autres langues comme le Kikongo. Le français est la langue que j’ai apprise à l’école et qui me permet de travailler puisque le lari est une langue essentiellement orale que je ne sais pas écrire. Le lari est une langue urbaine parlée uniquement à Brazzaville. Elle est donc minoritaire dans la république du Congo, mais majoritaire dans la capitale.


Est-ce une langue “parlée” que vous voulez écrire?


Oui, quand j’ai fini d’écrire un texte, je dois le lire à haute voix pour entendre comment la parole circule. Mais je ne prends pas cette parole dans la rue. La langue dramatique doit être dite, mais elle doit aussi être entendue – c’est cette double nécessité qui me motive. Je travaille beaucoup sur des images, et cela vient sans doute de ma langue maternelle où l’on ne dit pas “j’ai écouté”, mais “j’ai jeté mon oreille”.


Pourquoi avoir choisi le théâtre pour vous exprimer ?


J’écris aussi de la poésie, mais le théâtre est au centre de mon existence d’écrivain. J’écris du théâtre parce que c’est plus direct. Cela me permet de parler directement aux autres. Je ressens une urgence à chaque fois que j’écris. Je veux parler d’aujourd’hui avec des personnes d’aujourd’hui, avec mes contemporains.


Vous avez dit que votre travail naissait et vivait dans les rues. Celles de Brazzaville ?


À l’origine, dans les rues de Brazzaville, dans le quartier de Ntissa où j’habite. Nous vivions en 1997 dans le chaos d’une guerre civile, et nous vivions dans la rue. Même nos pensées s’étaient déversées dans la rue. Il était impossible de ne pas être déchiré et en vrac, corps et esprit étalés. Il n’y avait plus de murs dans cet immense no man’s land. C’est à ce moment-là que j’ai ressenti le désir, avec mon frère Criss Niangouna, de faire un travail sur ce qui se passait dans la rue.


Le fait d’être clandestin oblige-t-il à être dans l’inconnu en permanence?


Non, je ne crois pas. Être clandestin, c’est “ne pas avoir la permission de…”. C’est juste la simple question de savoir qui a le droit de faire et qui n’a pas le droit de faire, qui a le droit d’exister et qui n’a pas le droit d’exister. Le droit “d’être”, c’est le plus important !


Votre personnage est-il seulement une voix sans corps ?


Il pourrait l’être. Il pourrait être une voix qui crie enfermée dans un fourgon de police et que l’on entendrait de la rue sans le voir. Il est un personnage dont l’existence n’est pas certaine.


Y a-t-il une part de clandestin en chacun de nous ?


Tout être humain est un fugitif qui court sans cesse tous les jours. Tout être humain est un clandestin quelque part. Pour moi, le grand problème, c’est que l’on ne devrait avoir un nom qu’au moment de mourir. Si l’on vous donne un nom à la naissance, comment savoir si ce nom va correspondre à la vie que vous allez mener. C’est comme une étiquette que l’on vous colle sans savoir, juste pour vous repérer et vous gérer, un peu comme pour une bête que l’on marque dans un élevage. Ce nom n’a rien à voir avec ce que je suis réellement, avec ce que je vais devenir. Au Congo, quand on vous donne un nom, on dit que “vous êtes votre nom” et cela me pose énormément de problèmes car moi, je sais que je ne suis pas ce nom. Mon nom est l’histoire de celui qui, le premier, a porté ce nom.


Quelle est la situation du théâtre au Congo?


Il y a des régions où se jouaient depuis des siècles des formes traditionnelles de théâtre à travers des rituels, des formes de théâtre de guérison, des récits de griots, des contes que l’on se raconte au coin du feu. Dans ces régions, il suffit qu’un artiste arrive, quelle que soit sa pratique, pour que les gens se réunissent autour de lui. Mais Brazzaville est un cas particulier car cette ville est une création des colonisateurs français. Il n’y avait rien, c’était la brousse. Dans notre capitale, le théâtre est arrivé avec cette colonisation. Il y a donc un public, mais c’est un public très volatil qu’il faut sans cesse aller chercher, qu’il faut sans cesse concerner. Bien sûr, les périodes de troubles ou de guerres nous font perdre à chaque fois le lien qui a été si dur à créer. En ce qui me concerne plus particulièrement, je dois tout créer, en particulier un festival de théâtre, en espérant que les pouvoirs publics s’intéresseront à nous. Nous avons aussi un rôle de formateur car il n’existe pas d’écoles de théâtre.


À part le théâtre, quelles sont les autres traces de la colonisation ?


La langue bien sûr. Il reste surtout des traces liées au fait que Brazzaville était la capitale du grand ensemble de l’Afrique équatoriale française. Ce qui nous reste aussi, c’est la séparation que les Français ont établie géographiquement, à l’intérieur même de la ville, entre les ethnies qui composent notre pays.


L’idée de frontière est-elle aussi vive au Congo qu’elle l’est en France et plus généralement en Europe?


Nous avons vraiment cette idée à cause du fleuve Congo qui sépare Brazzaville et Kinshasa, alors que nous parlons les mêmes langues. Nous pouvons attendre des heures pour passer d’une rive à l’autre, alors que nous n’avons pas de passeport et qu’il faut cinq minutes pour traverser en bateau. On nous a imposé cette frontière, et maintenant elle est dans nos têtes. On peut facilement s’injurier en se traitant de Congolais ou de Zaïrois.


Est-ce que venir à Avignon est important pour vous ?


Très important, car je peux faire entendre ce que j’ai à dire à un plus grand public, qui ne me connaît sans doute pas. C’est comme si l’on me donnait un mégaphone pour me faire entendre.


Propos recueillis par Jean-François Perrier en février 2007

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