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Atteintes à sa vie

+ d'infos sur le texte de Martin Crimp traduit par Christophe Pellet
mise en scène Gilles Bouillon

: D'un carnet de notes dramaturgiques

par Bernard Pico

Terrorisme et tentatives de suicide : un double fil rouge. En 17 scénarios défilent tous les modes (toutes les modes ?) de la terreur. Violence dans la composition, l’écriture elle-même : elle éclate, elle explose – elle est virale, elle contamine sournoisement (violence sourde) – elle peut rire, ironiser, stupéfier, se réfugier dans la cage dorée des discours lénifiants et marchands.


Remember Anne. La pièce et sa fiction s’exposent et s’explosent. Reconstituer le portrait d’Anne et le déconstruire. Remember Anne, dit Elisabeth Angel-Perez, se souvenir d’elle, la « remembrer », en même temps la démembrer. Impossible tragédie, impossible comédie, impossible théâtre pour une société dans laquelle le théâtre est mort (dit Crimp). Ou alors remember Orphée déchiré par les Ménades, ou encore Les Bacchantes d’Euripide - flash-back de têtes humaines éclatant au ralenti - emblème de la mise en pièce(s) ? Fragments de corps en très gros plan, le sourire d’Anne, sa bouche, ses cheveux. L’objectif fouille les visages jusqu’à la pixellisation. Un monde de fragments et de surfaces - derrière les écrans juste quelques fils et un peu de poussière.


Atteintes ne dit pas exactement Attempts : tentatives de constituer un récit, de reconstituer une identité. Essais non transformés, voués à la répétition. Pluriel de faillite.
La pièce oscille constamment, au gré du principe d’incertitude (et/ou d’un principe « poétique » de collage), juxtapose des propositions disparates, contradictoires, sans jamais donner une image définitive ou même cohérente. Puzzle à jamais incomplet et dépareillé. Questions sans réponses, engendrant d’autres questions, à l’infini, sur le mode fractal. On ne saura pas qui est Anne, ni si même elle existe.


Voyeurisme passion triste. La seule action c’est un récit, la (les) tentative(s) de constituer un récit (et donc une identité). Dans cet univers sans passions, la passion est ailleurs : passion monstrueuse, qui sacrifie, passion triste : la passion de raconter, la passion du secret révélé, nous avons besoin de sentir que ce que nous voyons est réel. Fabriquer de l’image, du théâtre avec de la vie. Quel fantasme ? Guy Debord : ce qui était réellement vécu s’éloigne dans la représentation. Blancheur. Transparence. Surexposition. L’homme sans ombre. Crimp dénonce la violence devenue spectacle, diluée, blanchie dans le spectacle de la violence. Fétichisme de la marchandise métamorphosé en culte de l’icône. Images d’un monde comme captées à travers une vitre sécurisée, à l’abri d’une bulle étanche, par une société capable de digérer l’horreur du monde à feu et à sang de l’autre côté. Le fantasme de Léonce par Büchner : nous entourerons ce tout petit pays de miroirs solaires qui chasseront l’hiver et feront de nous la liqueur d’un été perpétuel.


Légende. L’insécurité est à l’œuvre dans le principe d’incertitude : impossibilité de reconstituer l’identité d’Anne, de l’étiqueter, la catégoriser. Incertitude d’où naissent les légendes. Etymologiquement légende : récit, mode d’emploi. Anne est légende(s). Paroles qui circulent autour d’une absence. Visage brisé, volé en éclats. Explosante fixe dit Breton de la beauté dans L’Amour Fou. Anne, figure contemporaine de la beauté : Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l’ai insultée. Rimbaud.

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