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Arrojad mis cenizas sobre Mickey

+ d'infos sur le texte de Rodrigo García
mise en scène Rodrigo García

: Entretien avec Rodrigo García

Le titre de cette pièce semble faire écho à ceux de J’ai acheté une pelle en soldes pour creuser ma tombe ou L'histoire de Ronald, le clown de Mc Donald's. Pourtant, par certains aspects, elle semble différente – plus sage, plus poétique... Le fait qu'entre-temps, vous ayez écrit et créé Borges + Goya, un spectacle plutôt « à part » dans votre parcours, a-t-il joué un rôle ?


Rodrigo Garcia : « Votre question est complexe. Il faut tenir compte au moins de trois choses: le discours de l’artiste, le type de public qui vient au théâtre et le marché, c’est-à-dire les festivals et les théâtres publics qui jouent le rôle d’intermédiaires entre les artistes et la société.
Ce circuit est irréfutable, comme dans la prostitution : les putes, les maquereaux et les clients sont l’équivalent des artistes, des festivals et du public.
Toute la difficulté est là : comment développer une pensée sans la pression du marché ? Comment parcourir ce circuit de façon cohérente, au rythme qui est le tien, sans que le marché t’impose quoi que ce soit ? On parle de dopage chez les sportifs… mais on ne parle jamais de dopage chez les artistes : l’argent et la reconnaissance.
Les sportifs pissent un peu plus tard les substances dopantes ; pour les artistes, c’est la même chose : ils dépensent leur argent, et la reconnaissance part en fumée quand on s’y attend le moins.
Tout ça est bien éphémère, il n’est pas raisonnable de s’y accrocher.
Dans mon oeuvre, les changements apparaissent après certaines découvertes.
Elle a un peu changé, me semble-t-il, avec Approche de l’idée de méfiance ; ça avait commencé avec ma performance Accidens. Et à présent, tout devient plus concret avec la pièce Et balancez mes cendres sur Mickey. Elle devient plus intime, plus austère, elle va à l’encontre du marché qui, lui, continue à réclamer de la violence, du militantisme anti-globalisation et du bruit.
Et j’insiste : ma pensée ne peut être réduite à ça.


Comment présenteriez-vous ce nouveau spectacle à quelqu'un qui ne connaît pas votre travail ? et à quelqu'un qui le connaît, au contraire, très bien ?


Rodrigo Garcia : « Mes pièces sont immédiates, et porteuses d’un discours poétique mineur.
Ce sont des pièces urgentes. Elles sont montées trop vite. Et il doit en être ainsi. J’invite le public à se disputer avec moi au théâtre, pendant une ou deux heures.
Je me sers d’idées inachevées, de messages contradictoires, d’images qui cachent toujours quelque chose…
Je ne présente pas des pièces finies car, alors, on parlerait d’un théâtre didactique, et je déteste l’éducation.
La connaissance et l’expérience n’ont pas à être dirigées ou planifiées. Au contraire : sans étonnement, pas d’apprentissage.
L’homme apprend car il s’émerveille.
À l’université, personne ne s’émerveille.
Voilà pourquoi l’université est à l’opposé de la connaissance. Sans vertige, sans peur, il n’y a pas de prédisposition à l’apprentissage.
L’apprentissage programmé déshumanise et nous affaiblit.
Mes pièces parlent toujours de l’extase associée à la connaissance.
Voilà pourquoi j’essaie de partager avec le public des moments poétiques, dont on dit généralement qu’ils sont de la provocation, et ça me chagrine.


Dans un entretien, vous déclariez que vous avez « choisi le théâtre pour riposter à tous ces coups », que le théâtre est pour vous « à la fois une communication et un acte de résistance », que « créer » est « comme boxer »: que répondez-vous à ceux qui vous qualifient de « provocateur » ?


Rodrigo Garcia : « Chaque soir, j’ai en face de moi entre six cents et mille ennemis potentiels, en fonction de la taille de la salle.
Et moi, à la régie, je suis aussi mon propre ennemi, quand la pièce commence. Car la pièce remet en question une réalité qui est aussi la mienne, en tant que citoyen européen : une façon de vivre amère, protégée jusqu’à l’extrême, à laquelle vient s’ajouter un désarroi éthique absolu.
C’est un acte aveugle… chaque représentation, chaque soir, est un acte aveugle et bête, car il prétend être sauvage mais il ne l’est pas… il est finalement un acte cordial, au sein d’un grand festival ou d’un grand théâtre.
Mais je me dis : le pire, c’est de ne rien faire.
Le pire, c’est de se la fermer.
Je ne comprends pas comment on peut continuer à faire de l’opéra dans des opéras, pour un public d’opéra.
Pareil pour le théâtre classique : je vous jure que je ne comprends pas, que ce sont à mes yeux des actes délictueux.
Il en va de même quand on se sert, au théâtre, de la grande littérature.
Si la grande littérature est une magnifique côte de boeuf, le théâtre est une machine destinée à hacher la viande, à la broyer tout entière.
Le mal que le théâtre a fait à la littérature est irréparable.
Les mots, il vaut mieux les lire. En solitaire.
Le lecteur, face à la grande littérature, a besoin de recueillement.
Et le théâtre est une fête, c’est tout le contraire.
Et ne me parlez pas de la Grèce, car le théâtre n’a plus le ce sens-là.
C’est pour cette raison que j’écris toujours mal. De la mauvaise littérature. Car c’est ce qui convient au théâtre.


Une question que j'avais posée au cinéaste Michael Haneke à propos de Funny Games : le public auquel s’adressent vos pièces – un public de théâtre « cultivé » – n'est-il pas déjà convaincu de ce que vous dénoncez, du « message » que vous souhaitez faire passer ? Quel effet visez vous avec Et dispersez mes cendres sur Mickey ?


Rodrigo Garcia : « Ce qui est naturel, c’est de s’avouer vaincu, de croire que le public est imperméable, qu’il voit un film comme La Source de Bergman ou Accatone de Pasolini, puis qu’il va dîner et qu’il s’endort tranquillement. Si c’était ce que je pensais, je cesserais sur le champ de travailler.
Mais je crois que si je suis ce que je suis, ce n’est pas seulement à cause de mes gènes, de mon désir et de mon alimentation… c’est aussi grâce à certaines expériences esthétiques concrètes. Par exemple : l’oeuvre de l’artiste plasticienne Ana Mendieta. Si quelques rares moments liés à l’art – et toujours liés à la liberté qui manque au quotidien – ont marqué ma personnalité, alors j’ai le droit d’être un croyant.


Où allons-nous – et où allez-vous ?


Rodrigo Garcia : « Il n’y a pas de raison pour que notre époque soit la pire de toutes. Mais, une fois de plus, il est indispensable que nous, artistes, penseurs, activistes politiques, nous considérions cette époque comme la pire, la plus cruelle et la plus vulgaire ; car, ainsi, nous oeuvrons à quelque chose de positif, afin de construire après avoir jeté à bas.
Je ne sais pas où je vais.
Je veux aller me reposer, mais je n’y arrive pas. »


Propos recueillis par David Sanson
traduits de l’espagnol par Christilla Vasserot

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