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Antigone

+ d'infos sur le texte de Bertolt Brecht traduit par Maurice Regnaut
mise en scène Grégory Bourut

: Entretien avec Grégory Bourut

Propos recueillis par Bénédicte Soula

Après l’Augmentation de Perec, qui a un connu un beau succès en 2013, Blutack mené par Grégory Bourut présente sa deuxième création : Antigone. Aurait-il donc abandonné l’idée d’un théâtre politique engagé dans la question sociale contemporaine au profit d’un théâtre de l’intemporel ? Pas du tout. D’abord, l’Antigone en question est celui de Brecht… Et, passé au tamis de la méthode Blutack, c’est un objet artistique plus que jamais porté sur la question contestataire. Entretien avec le metteur en scène.

Quand, après Cocteau et Anouilh, Brecht décide d’écrire à son tour son Antigone en 1948, c’est un acte politique fort : car, dans cette pièce, une analogie est faite, tout à fait volontairement, entre la situation originelle d’Antigone et celle de l’Allemagne du IIIe Reich. Antigone devient alors une figure de résistance au fascisme, une rebelle de l’Histoire. Est-ce cette portée politique qui a motivé chez vous le choix de la pièce et de son auteur ?


Oui, bien sûr. Au départ néanmoins, je voulais travailler sur la réécriture du mythe d’Antigone et passer au filtre les différentes versions que l’on connaissait pour en extraire une de Blutack. Et puis, je découvre le mot de Thomas Bernhard dans un article de presse : « Le ventre de l’Europe est encore fécond d’où est sortie la bête immonde. » Fécond évidemment des idéologies nauséabondes fascistes et nationales-socialistes… Je me suis dit que Bernhard avait raison encore aujourd’hui, que l’on n’avait pas fait ce travail intellectuel pour se détacher de ça. Regardez les dernières élections en France… On n’est pas sorti des idéologies antisémites, de stigmatisation des uns ou des autres… Brecht est venu car sa pièce se situait au point de concordance de toutes ces réflexions ; c’est à la fois un manifeste antifasciste doublé d’un éloge de la résistance et une réécriture du mythe qui tord la version de Sophocle, et qui moi m’amène naturellement à une lecture contestataire de cette histoire.


Justement, quels sont alors les questionnements contemporains que cette mise en perspective soulève dans votre création, même si l’affiche de la pièce (un poing levé) nous éclaire déjà un petit peu…


Au départ, sur l’affiche, il y avait également un code-barres tatoué sur le poignet… parce que cela fait référence à un autre fascisme, celui-là magnifiquement expliqué par Pier Paolo Pasolini, qui est le fascisme de la société de consommation, tout aussi cruel que le fascisme politique mais plus insidieux, car véhiculé par les médias de masse, et notamment par la télévision. Ma scénographie fait aussi écho à cette pensée pasolinienne, puisqu’on retrouve sur le plateau des tubes cathodiques… Cette autre forme de pouvoir et de rapport dominant/dominé par le biais de la télévision ne peut pas aujourd’hui ne pas être évoquée lorsqu’on aborde les modes d’assujettissement contemporains. À côté de ça, comme chez Brecht, qui détourne un peu le choeur avec son conseil des Anciens, j’ai imaginé un coryphée d’hommes de l’ombre qui tirent les ficelles, qui utilisent la face publique, visible, du pouvoir qu’est Créon, pour satisfaire leur cupidité… Enfin, dans la version de Brecht, les deux fils de Créon ne s’entretuent pas comme chez Sophocle. L’un des deux, Étéocle, mène pour son père une guerre impérialiste pour récupérer du fer : quand il meurt au combat, il a le droit à des funérailles – on dirait aujourd’hui – nationales. Polynice, lui, a refusé de partir au combat. Considéré alors comme un lâche et un déserteur par Créon, on le condamne à mort et lui refuse la sépulture. Fascisme idéologique et politique, économique, médiatique, tout cela doit être pensé ensemble… On sait aujourd’hui par exemple que le IIIe Reich d’Hitler a été financé par de grandes firmes, notamment I.G. Farben, qui a été fragmentée après la Libération en plusieurs multinationales qui ont toujours pignon sur rue, dans le silence médiatique…


Il y a deux interprétations qui dans le temps se sont opposées concernant la figure d’Antigone. Pour certains, les plus nombreux, elle est l’image de la rebelle, d’une résistance qui s’oppose à la raison d’État incarnée par son oncle Créon ; pour d’autres, Antigone, en se réclamant d’une loi plus forte encore que la loi humaine, à savoir la loi divine, la tradition des ancêtres, se révélerait tout au contraire une conservatrice, face à un Créon, lui, sans dieu ni maître ! Brecht choisit la première lecture du mythe, et vous, vous choisissez Brecht. Comment défendez-vous la première interprétation du mythe d’Antigone ?


Les mythes sont ouverts et il n’y a pas une vérité. Moi, la version conservatrice d’Antigone n’est pas vraiment celle qui m’excitait. Je vois plutôt en cette femme la résistance à toute forme d’autoritarisme, à tout décret bêtement appliqué. Et surtout, ce qui m’intéresse chez Brecht, davantage que chez Anouilh, c’est que même si la question de la transcendance est évoquée, c’est un principe d’humanité qui fait agir Antigone. Elle parle au nom de l’humain face à ce qu’elle considère comme inhumain. Elle est aussi la figure de la résistante féminine ou féministe face à l’oppression masculine et patriarcale.


Un mot sur son interprète ? Qui est Antigone sous les traits de Marine Collet ?


Justement une Antigone moderne, sensible et forte à la fois. Marine renvoie cela. Elle a ce magnétisme dont j’avais besoin pour mettre en scène un tel personnage. Elle apporte aussi un côté rock’n roll… Pour moi, aujourd’hui, la figure féminine de la résistance et de la contestation, c’est la Femen. Oui, à la fin, quand Marine dit ce poème de Brecht qui n’est pas dans la pièce mais présenté quelquefois en annexe, Antigone est une Femen.

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