Un village de Franche-Comté.
Les deux " regardeurs ", interprétés par Philippe Fretun et Pierre-Félix Gravière, sont déjà sur scène lorsque les spectateurs entrent. Leur regard est fixé sur un point invisible, hors champ (derrière nous) : la grande maison des voisins, dans laquelle trois générations se déchirent. Puis vient le temps de la parole, répétitive, ressassante. Les mots du désastre : " coalition ", " cohabitation ", " guerre ", sont martelés.
Brusquement, la Femme surgit, celle qui porte la souffrance familiale. Elle apparaît et disparaît, comme par flashs successifs pendant lesquels elle s'épanche de plus en plus sur cette guerre qui a éclaté en 1972, quand son père a " claboté ".

Pour ce spectacle tout en sobriété, plateau nu, Philippe Minyana a fait enlever la cloison qui sépare habituellement les deux salles du théâtre. Le plateau reste ouvert vers un ailleurs que l'on ne verra jamais : là où se trouve Anne-Marie, la Mère. La fable, décadrée elle aussi, racontée plus que montrée (rappelons, au passage, que la pièce a été écrite pour la radio), donne à ce spectacle une atmosphère tout à fait particulière : la distance qui est prise avec le drame ne nous y ramène que plus violemment, sans sentimentalisme. Le sourire est là, souvent. La présence des deux hommes, leurs tics parfois clownesques, équilibrent (et révèlent, malgré eux) le tragique de la Femme incarnée avec retenue par Catherine Hiegel -vêtue d'une robe incarnat incandescente.

Philippe Minyana montre les fêlures avec pudeur, sans apitoiement et sans complaisance. Et cette Anne-Marie devient un condensé d'humanité, avec sa part de légèreté et de souffrance. Drame ancré dans une réalité bien précise (les deux hommes parlent avec un fort accent franc comtois), la pièce parvient, à partir du particulier qu'elle transpose et reconstruit, à toucher l'universel.

Valérie Valade