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Angels in America

+ d'infos sur le texte de Tony Kushner traduit par Pierre Laville

: Convoquer le pouvoir de l'imaginaire

Par Aurélie Van Den Daele

La question de la représentation : des acteurs jonglant avec le genre et des registres.
La pièce évoque un mouvement musical, comme l’indique le sous titre « Fantaisie gay sur de thèmes nationaux ». Les thèmes se croisent, comme dans une sonate, se superposent comme dans une fugue. Des scènes s’enchaînent, à quelques heures ou jours d’intervalle tandis que d’autres se superposent, jouant dans une simultanéité d’images ou de paroles.
Parfois, deux scènes différentes avec deux couples et les répliques alternées de chacun se répondent tout d’un coup. Parfois encore, il a recours à des flash-backs, parfois il laisse des personnages de la scène précédente dans la suivante.
Formellement, Tony Kushner n’a peur de rien. Il s’amuse de codes théâtraux en jouant avec les formes de la représentation: réalisme contre distanciation, théâtre dans le théâtre, rupture de registres…Tony Kushner est résolument un homme qui aime le théâtre.
C’est la recherche de sa théâtralité, avec les acteurs qui s’annonce passionnante : elle est puissante, évocatrice, large et généreuse. Tout d’abord, je souhaite travailler la piste qu’il propose : une distribution mixte dans laquelle hommes et femmes jouent indifféremment les deux genres.
Comment réinventer cela ? Nous souhaitons ré-investir cette tradition théâtrale en nous appuyant sur la force de l’imaginaire, axe fondamental de la pièce. Les acteurs composeront avec des éléments de genre, de costumes mais il ne sera jamais question de travestir l’acteur pour qu’il soit méconnaissable. Sans outils explicatifs mais dans une contemporanéité vivace, ce seront les acteurs qui convoqueront les personnages dans une virtuosité cinématographique.
C’est dans la recherche du mélange des genres théâtre/cinéma que nous travaillerons pour que cette pièce-fleuve se déploie comme une fresque. Nous souhaitons qu’elle ait le suspens d’une série. Pour cela nous travaillerons la dimension de l’étonnement chez l’acteur. Comment un acteur peut il renouveller une émotion qui est le fil conducteur de son voyage durant 4h30 de jeu ?
Dans les scènes simultanées, nous souhaitons que les acteurs convoquent les mécanismes du cinéma : comment la pause du personnage peut elle être un appui de jeu pour l’acteur ? Mais la distance ne sera pas celle d’un plateau de cinéma. Elle jouera sur les axes en longueur et en diagonale pour s’éloigner des situations réalistes de la pièce. Ainsi il ne s’agit pas de reproduire la vie, mais de la recréer.
Pour cela nous travaillons un jeu vif et une diction rapide pour trouver la violence des rapports, et non pas la reproduction du contexte historique.



L’llusion théâtrale au coeur du dispositif.


Nous avons choisi de faire confiance à l’illusion théâtrale et de transposer cette épopée aux lieux multiples (un véritable défi spatial) dans un espace unique, une boite à outils, un lieu des possibles qui évoque mais ne situe pas.
Notre espace ne pose pas les situations, ce sont les acteurs qui créent les cellules dans lesquels ils évoluent. La pièce se passe dans les années 80 en Amérique mais elle fonctionne surtout dans un parfum de fin des temps : crainte d’une apocalypse à venir, retour aux fondamentalismes qui résonne étrangement avec aujourd’hui.
Pour conduire ce fil de l’imaginaire en marche, nous avons choisi de ne pas contextualiser les costumes et la scénographie mais de proposer un travail de surtitre.
C’est par la contextualisation des surtitres vidéo que le spectateur peut imaginer le contexte spatio-temporel. Les spectateurs sont sollicités dans leur puissance d’imagination. Par exemple, alors que les surtitres annonceront « New-York, octobre novembre 1985, Parlement, bureau de Roy», les spectateurs verront sur scène Roy et Joe discutant adossés au distributeur de Coca-Cola sur un côté de la scène. En aucun cas les scènes n’illustreront les intentions des surtitres et ce sera donc au spectateur de faire appel à son imaginaire pour se projeter. Parfois le décalage sera beaucoup plus grand, notamment pour les scène convoquent le fantastique.
Ce principe est en réalité une mise en abyme du propos de la pièce : Tony Kushner y oppose les Anges aux humains : les premiers sont décrits comme bureaucrates du ciel, incroyablement puissants mais sans imaginaire, les seconds sont ceux qui ont la capacité d’imaginer.
Par ailleurs, la pièce fait aussi appel à des voyages imaginaires qui ont toujours un lien avec la réalité de l’action; Quand Harper croit faire un voyage en Antarctique, elle est en réalité dans les rues glacées de New York.
Pour traiter cet aller retour là, nous ferons encore appel à cette illusion théâtrale: en proposant une autre vision de ce paysage là : pas de fausse neige ou de décor, mais des éléments détournés (des balles de ping pong qui tombent comme des flocons par exemple…) qui invitent à pénétrer l’espace mental des personnages.


Une dramaturgie en marche


Le rythme de la pièce est celui des scènes qui s’entrechoquent, celui de ces êtres englués dans leurs archétypes qui convoquent sans cesse des voyages : hallucinations, départs vers de nouvelles perspectives, allers-retours entre les pôles du bien et du mal, entre l’Amérique et l’URSS, le conservatisme et le progressisme. La question de l’adresse est fondamentale pour rendre compte de ce voyage. Tony Kushner laisse de nombreuses portes ouvertes à ce sujet : Harper est un personnage qui erre dans une profonde solitude. Ces pensées s’adressent-elles à elle-même, ou aux spectateurs, témoins de son hallucination en même temps qu’elle ?


Le prêche du rabbin qui ouvre la pièce s’adresse-il aux personnes présentes pour l’enterrement ou au public venu ce soir-là?
Sans moralisme aucun, je souhaite tirer les fils de cette dramaturgie pour retrouver à qui se donne le texte.


Les Anges, une histoire de l’art à inventer


Comme peut l’être le choeur quand on monte une tragédie antique, les Anges qui peuplent la pièce sont une question de taille. Comment les représenter, les matérialiser sur le plateau ? Comment l’actrice qui incarne ce personnage doit elle s’en saisir ?
Tony Kushner ne se gêne pas pour « tailler un costard » à ces anges, venus remplacer Dieu par intérim. Il creuse ce sillon pour faire exploser l’image romantique de l’ange déchu et nous interroger sur nos propres conceptions spirituelles, artistiques et historiques. Il s’amuse à le transformer en figure réactionnaire, esseulé, abandonnée qui prône un monde sans mouvement, sans migration.
C’est cette piste que nous creuserons, un Ange en colère, impétueux et résolument rock.
Intrigué par les êtres humains, nous avons choisi de rendre compte de son regard omniscient par un travail de vidéo en direct (voir note sur le dispostif).
Profondément sensuel, ses apparitions doivent faire appel au charnel, c’est pourquoi son corps sera comme une enveloppe, un support sur lequel l’Histoire s’inscrit : il est chair, livre, écran sur lesquels se rejouent les événements. Les séquences ou l’Ange apparaît seront toujours traités de manière forte visuellement : je ferai appel aux représentations de l’Histoire de l’Art mais aussi aux fantasmes imaginaires de chacun.

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