: Convoquer le pouvoir de l'imaginaire
Par Aurélie Van Den Daele
La question de la représentation : des acteurs jonglant
avec le genre et des registres.
La pièce évoque un mouvement musical, comme l’indique le
sous titre « Fantaisie gay sur de thèmes nationaux ». Les thèmes
se croisent, comme dans une sonate, se superposent comme
dans une fugue. Des scènes s’enchaînent, à quelques heures ou
jours d’intervalle tandis que d’autres se superposent, jouant dans
une simultanéité d’images ou de paroles.
Parfois, deux scènes différentes avec deux couples et les répliques
alternées de chacun se répondent tout d’un coup. Parfois
encore, il a recours à des flash-backs, parfois il laisse des personnages
de la scène précédente dans la suivante.
Formellement, Tony Kushner n’a peur de rien. Il s’amuse de codes
théâtraux en jouant avec les formes de la représentation:
réalisme contre distanciation, théâtre dans le théâtre, rupture de
registres…Tony Kushner est résolument un homme qui aime le
théâtre.
C’est la recherche de sa théâtralité, avec les acteurs qui s’annonce
passionnante : elle est puissante, évocatrice, large et généreuse.
Tout d’abord, je souhaite travailler la piste qu’il propose : une
distribution mixte dans laquelle hommes et femmes jouent indifféremment
les deux genres.
Comment réinventer cela ? Nous souhaitons ré-investir cette tradition
théâtrale en nous appuyant sur la force de l’imaginaire,
axe fondamental de la pièce. Les acteurs composeront avec des
éléments de genre, de costumes mais il ne sera jamais question
de travestir l’acteur pour qu’il soit méconnaissable. Sans outils
explicatifs mais dans une contemporanéité vivace, ce seront les
acteurs qui convoqueront les personnages dans une virtuosité
cinématographique.
C’est dans la recherche du mélange des genres théâtre/cinéma
que nous travaillerons pour que cette pièce-fleuve se déploie
comme une fresque. Nous souhaitons qu’elle ait le suspens d’une série. Pour cela nous travaillerons la dimension de l’étonnement
chez l’acteur. Comment un acteur peut il renouveller
une émotion qui est le fil conducteur de
son voyage durant 4h30 de jeu ?
Dans les scènes simultanées, nous souhaitons que les acteurs
convoquent les mécanismes du cinéma : comment la pause du
personnage peut elle être un appui de jeu pour l’acteur ?
Mais la distance ne sera pas celle d’un plateau de cinéma. Elle
jouera sur les axes en longueur et en diagonale pour s’éloigner
des situations réalistes de la pièce. Ainsi il ne s’agit pas de reproduire
la vie, mais de la recréer.
Pour cela nous travaillons un jeu vif et une diction rapide pour
trouver la violence des rapports, et non pas la reproduction du
contexte historique.
L’llusion théâtrale au coeur du dispositif.
Nous avons choisi de faire confiance à l’illusion théâtrale et de
transposer cette épopée aux lieux multiples (un véritable défi
spatial) dans un espace unique, une boite à outils, un lieu des
possibles qui évoque mais ne situe pas.
Notre espace ne pose pas les situations, ce sont les acteurs qui
créent les cellules dans lesquels ils évoluent.
La pièce se passe dans les années 80 en Amérique mais elle
fonctionne surtout dans un parfum de fin des temps : crainte
d’une apocalypse à venir, retour aux fondamentalismes qui résonne
étrangement avec aujourd’hui.
Pour conduire ce fil de l’imaginaire en marche, nous avons
choisi de ne pas contextualiser les costumes et la scénographie
mais de proposer un travail de surtitre.
C’est par la contextualisation des surtitres vidéo que le spectateur
peut imaginer le contexte spatio-temporel. Les spectateurs
sont sollicités dans leur puissance d’imagination. Par exemple,
alors que les surtitres annonceront « New-York, octobre
novembre 1985, Parlement, bureau de Roy», les spectateurs verront sur scène Roy et Joe discutant adossés au distributeur
de Coca-Cola sur un côté de la scène. En aucun cas les scènes
n’illustreront les intentions des surtitres et ce sera donc au spectateur
de faire appel à son imaginaire pour se projeter. Parfois le
décalage sera beaucoup plus grand, notamment pour les scène
convoquent le fantastique.
Ce principe est en réalité une mise en abyme du propos de la
pièce : Tony Kushner y oppose les Anges aux humains : les premiers
sont décrits comme bureaucrates du ciel, incroyablement
puissants mais sans imaginaire, les seconds sont ceux qui ont la
capacité d’imaginer.
Par ailleurs, la pièce fait aussi appel à des voyages imaginaires
qui ont toujours un lien avec la réalité de l’action; Quand Harper
croit faire un voyage en Antarctique, elle est en réalité dans
les rues glacées de New York.
Pour traiter cet aller retour là, nous ferons encore appel à cette
illusion théâtrale: en proposant une autre vision de ce paysage là
: pas de fausse neige ou de décor, mais des éléments détournés
(des balles de ping pong qui tombent comme des flocons par
exemple…) qui invitent à pénétrer l’espace mental des personnages.
Une dramaturgie en marche
Le rythme de la pièce est celui des scènes qui s’entrechoquent, celui de ces êtres englués dans leurs archétypes qui convoquent sans cesse des voyages : hallucinations, départs vers de nouvelles perspectives, allers-retours entre les pôles du bien et du mal, entre l’Amérique et l’URSS, le conservatisme et le progressisme. La question de l’adresse est fondamentale pour rendre compte de ce voyage. Tony Kushner laisse de nombreuses portes ouvertes à ce sujet : Harper est un personnage qui erre dans une profonde solitude. Ces pensées s’adressent-elles à elle-même, ou aux spectateurs, témoins de son hallucination en même temps qu’elle ?
Le prêche du rabbin qui ouvre la pièce s’adresse-il aux personnes
présentes pour l’enterrement ou au public venu ce
soir-là?
Sans moralisme aucun, je souhaite tirer les fils de cette dramaturgie
pour retrouver à qui se donne le texte.
Les Anges, une histoire de l’art à inventer
Comme peut l’être le choeur quand on monte une tragédie
antique, les Anges qui peuplent la pièce sont une question
de taille. Comment les représenter, les matérialiser sur
le plateau ? Comment l’actrice qui incarne ce personnage
doit elle s’en saisir ?
Tony Kushner ne se gêne pas pour « tailler un costard »
à ces anges, venus remplacer Dieu par intérim. Il creuse
ce sillon pour faire exploser l’image romantique de l’ange
déchu et nous interroger sur nos propres conceptions spirituelles,
artistiques et historiques. Il s’amuse à le transformer
en figure réactionnaire, esseulé, abandonnée qui prône un
monde sans mouvement, sans migration.
C’est cette piste que nous creuserons, un Ange en colère,
impétueux et résolument rock.
Intrigué par les êtres humains, nous avons choisi de rendre
compte de son regard omniscient par un travail de vidéo en
direct (voir note sur le dispostif).
Profondément sensuel, ses apparitions doivent faire appel
au charnel, c’est pourquoi son corps sera comme une enveloppe,
un support sur lequel l’Histoire s’inscrit : il est
chair, livre, écran sur lesquels se rejouent les événements.
Les séquences ou l’Ange apparaît seront toujours traités de
manière forte visuellement : je ferai appel aux représentations
de l’Histoire de l’Art mais aussi aux fantasmes imaginaires
de chacun.
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