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Angels in America

+ d'infos sur le texte de Tony Kushner traduit par Pierre Laville

: Monter Angels in America

Par Aurélie Van Den Daele

« Enfants d’une aube nouvelle. Esprits criminels. Egoïstes, cupides, insensibles, aveugles, enfants de Reagan. Vous avez peur. Moi aussi. Tout le monde a peur au pays de la liberté...»
Dans « Angels in America », une figure politique se dégage en creux : Ronald Reagan et son désir de restauration de l’ordre moral et des valeurs familiales.


Nous avions précédemment travaillé sur « Top Girls » de Caryl Churchill, qui questionne la figure de Margaret Thatcher et ses influences sur le mouvement féministe anglais. Notre travail autour de pièces contemporaines des années 80 nous amène à réinterroger l’Histoire.


Il me semble que cette Histoire est peu traitée au théâtre : il faut monter des classiques ou des oeuvres contemporaines en proie avec notre réalité mais cette Histoire-là précisément, celle des années 80 nous semble proche et lointaine à la fois : Est-ce du théâtre d’aujourd’hui ?


En réalité, il ne s’agit pas de théâtre d’aujourd’hui mais du théâtre pour aujourd’hui fait avec hier. C’est en partant de cet ancrage historique que nous pouvons raconter. C’est parce que nous sommes issus de cette histoire-là que nous souhaitons l’éclairer.


Le théâtre doit pouvoir offrir des mises en perspective, des éclairages sur notre Histoire. « Angels in America » le propose. La pièce ne raconte pas les années 80, elle les transfigure en une légende de notre monde à nous. Elle questionne les fondamentaux de la société moderne : le mythe de l’individu, l’avènement du libéralisme, la catégorisation sociale et sexuelle qui conditionne aujourd’hui encore nos sociétés, mais aussi l’Amérique comme symbole de puissance irradiant sur nos mondes occidentaux.


Je suis hantée par la question de la maladie dans nos sociétés contemporaines, depuis le Diptyque Avant l’oubli, se retrouver composé de deux textes contemporains « Peggy Pickit voit la face de Dieu » de Roland Schimmelpfennig et « Dans les veines ralenties » d’Elsa Granat, une adaptation de « Cris et Chuchotements » de Bergman. Dans nos sociétés ultraaseptisées, quel est notre rapport au corps malade, à la déchéance et à la mort ?


En 1987, le sida est réellement un ange de mort, inéluctable et péremptoire... Aujourd’hui, cette perception a changé. Quand je me suis demandée comment on vivait aujourd’hui avec la séropositivité, avec le sida - les questions que les personnages de la pièce se posent - j’ai interrogé les jeunes élèves des ateliers. Leur réponse : on vit avec. Et cette réponse me semble l’héritage des recherches contre le sida.


Pourtant le positionnement d’une société face à la maladie est toujours politique. Dans les années 80, l’attentisme politique face aux ravages du sida fut terrible.


Aujourd’hui, les manifestations anti mariage-homosexuel et les débats que cela suscitent dans la société, me font dire que la pièce reste pleinement d’actualité. Dans notre début de millénaire sans repères possibles : où les forces politiques n’ont plus de couleurs, où les minorités, quelles qu’elles soient, semblent devenir un danger pour des majorités hésitantes, troublées, peureuses où nos démons de mort et de jeunisme exacerbé nous hantent, où traversés tant par des désirs de consommation excessive que par des élans vers le spirituel, cette pièce à l’élan vital incontestable a toute sa place.


Quelle identité devons-nous ou pouvons-nous nous forger aujourd’hui ? Comment nous constituer en tant qu’individu, mais aussi en tant qu’individualité au sein d’un groupe ? Comment constituer un groupe ? Sur quel principe ? Et l’appartenance à un groupe est-elle nécessaire pour exister ?


Ces problématiques sont passionnantes : tous ces personnages sont définis, caractérisés, stéréotypés : mormons, homosexuels, noirs, malades du sida, reaganiens... et ils répondent toujours à notre désir de classification comme outil de compréhension du monde.


Inclassable, impure, ambivalente, voilà ce qu’est la pièce. Et ce particularisme me semble beau à donner à voir dans cet océan de conformisme actuel.

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