theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Anagrammes pour Faust »

Anagrammes pour Faust


: Carnet d’investigation d’Ezéquiel Garcia-Romeu

son cheminement vers Anagrammes pour Faust

Au théâtre, c’est l’aventure de l’interrogation qui me fascine
et toutes les inconnues qui forment encore des univers inexplorés.
Ezéquiel Garcia-Romeu


Dramaturgie ou les anagrammes improbables


Prenez un crayon et un papier, vous verrez qu’il est impossible de transmuter le nom de Faust. Il semblerait que la magie de la Kabbale empêche la dissimulation du personnage derrière un autre, nom fermé sur lui-même, recroquevillé dans son unité. Faire une anagramme de Faust est impossible , à moins d’éparpiller son nom en des noms illisibles et ridicules qui donneraient : Fauts (c’est pas mal mais il y une faute d’orthographe) Fuats, Futsa, Uftas, Pfff, Sff, etc.
Faust est donc un personnage solaire.
D’ailleurs, pourquoi s’entêter à créer une anagramme à ce nom ?
D’où le bonheur, pour notre simple amusement égoïste, de lui recomposer un frère, à partir de tout ce qui lui ressemble, et qui à été éparpillé en pseudos et autres avatars.
Suivez notre pensée…
La mise en scène remembre un Faust, en réunissant les éléments disparates qui surgissent de textes choisis, mais aussi de notre travail d’improvisation sur scène avec les comédiens et les objets.
Lors de cette rencontre nous créerons des textes qui feront le lien. Par exemple, il serait intéressant d’avoir l’avis du verre à whisky de Faust, ou d’autres objets plus intimes.
La scène est une machine à produire des conversations, des images et des concepts sur le temps de l’homme et l’au-delà, aussi absurdes que profonds, tout en utilisant des objets du quotidien pour en parler.


Les auteurs choisis


Nous avons choisi principalement des textes de Paul Valéry – dont le très sérieux et profond Monsieur Teste – et L’Invention de Morel d’Adolfo Bioy Casarès – de la science-fiction probable. Leurs personnages s’expriment comme les multiples facettes d’un diamant unique. D’autres morceaux choisis pourront venir s’y greffer. Ces textes ont en commun, vous le savez aussi bien que nous, le caractère prométhéen du personnage, simple mortel, cherchant l’éternité. La tentative de création de soi-même par soi-même. L’homme qui voudrait être la plus parfaite et la dernière pièce de la création. L’homme qui voudrait modeler sa condition, à son rêve de perdurer. On raconte la douleur d’être cet écheveau qui se déroule dans le vide abyssal de la vie qui passe, qui va de la révélation de la vie donnée vers l’imperfection d’une mécanique de pensée qui voudrait éternellement s’y fixer. Dans une tentative finale, l’homme se projette, comme Faust, hors de lui-même, au-dessus de dieu, dans un espace et un temps fictionnels, qui seraient son règne d’éternité. Ils spéculent sur les échappatoires possibles face à la condition humaine. Chacun des personnages décrit un Faust improbable, car chacun d’eux se retrouve seul face à la création, sans dieux pour les recevoir au paradis. Pour Teste, c’est devenir un surhomme de la pensée, la transmigration du corps vers un pur esprit de littérature. Pour Morel, c’est devenir immortel, la transmigration vers une image cinématographique douée d’une âme. Dieu est absent de ces textes. Le Malin fait pâle figure.


Adaptation


Ces textes seront des matériaux. Nous créerons une conversation à plusieurs, dont les paroles réunies, viennent d’époques différentes. Nous recomposons un personnage éparpillé. C’est un Faust rempaillé. Chaque bribe de texte est organisée en question/réponse. Nous établissons des liens qui n’ont jamais eu lieu entre chacun de ces écrivains poètes. Nous supposons que les objets s’y mettront aussi dans le désir de perdurer.


Orientation de la recherche : de Faust à Morel


Adolfo Bioy Casarès dans L’Invention de Morel, nous montre un savant amoureux, sorte de Faust des temps modernes affranchi de Dieu et Diable. Pour sauver son amour du passage du temps, il invente une sorte de caméra anthropophage, machine propre à voler le corps et la vie des personnes qu’elle filme. Reproduisant ensuite leur corps en trois dimensions incarnées, des projecteurs répèteront à l’infini les mêmes scènes de vie quotidienne. Morel et sa maîtresse… fantômes déambulant au gré d’une conversation amoureuse, d’un baiser ou d’une dispute, concrets comme chair et os mais n’existant plus. Morel meurt pour « vivre » l’amour éternel, mais comme un objet désincarné ; il rencontre son désir au-delà de la vie. Que devient son identité après sa transfiguration et à partir de quel désir se construit-elle ? Désir de multiplier son image en dehors des règles de la nature, désir de substitution, désir que son ombre lui survive afin de se parfaire ? Morel, le personnage du roman de Bioy Casarès, orientera mon sujet de recherche vers un imaginaire donné, un univers de fantasmagories, d’aliénation du réel, d’apparitions et de disparitions dont le fond et la forme sont définis dans un programme d’exploration où j’associe aux comédiens, les images, les sons et les marionnettes. Images virtuelles et acteurs évolueront dans un même espace temps. La première étape du Laboratoire n’est pas un projet de mise en scène à proprement parler, mais un programme d’exploration s’inspirant des idées métaphysiques qu’éveillent Faust et Morel et se concrétisant dans des formes techniques et technologiques.


Synopsis


Après un étrange parcours, les spectateurs s’installent pour l’écoute et la vision. La notion d’installation est ici essentielle. Au milieu de la scène se trouve un objet en forme de pupitre ou de retable d’aspect moderne ; mais c’est une machine aussi simple qu’une table ou qu’une petite scène de théâtre en miniature pourvue de haut-parleurs, d’un moniteur (invisible). C’est une machine à écrire, à parler. Elle est poétesse, faisant éclore des émissaires, des spectres, animant des hommes en chiffon. Sous elle se cachent deux marionnettistes et manipulateurs d’objets comme sous la machine à jouer aux échecs de Poe. Cette machine, conduite par un homme, le comédien, parle. Écrit. Montre. S’ouvre et se referme comme un rideau de théâtre. Les voix qu’elle laisse entendre, qu’elle intercepte dans l’espace par bribes décousues, sont les conversations captées d’un temps révolu ou à venir. C’est de l’ouverture de ce « livre » que surgit le monde, la vie de la scène. À force de s’accumuler, un sens commence à paraître. De quoi nous parlent ces spectres ? Du temps qui passe, qu’on trompe. De maîtrise du destin ? De femme à désirer, de femme désirante. Sur scène, un comédien, tente d’en faire la synthèse, tel Faust, et y découvre son double, sur le pôle opposé, de l’autre côté du miroir, dans chacun des spectres que la machine fait déambuler pour les spectateurs, dans le futur ou dans le passé : savoir qui a devancé l’autre dans la maîtrise de son destin ? Et concluant même qu’un simple cendrier est plus proche du but que lui. Cette machine lui envoie de nombreux émissaires, dont une femme. La présence féminine trouble sa recherche et le ramène au début de l’histoire, freine le temps, rompt la logique de l’expérience de l’esprit.
Le temps s’est arrêté. Les paroles de Faust parlent depuis un temps sans mesure – présent passé futur – un temps circulaire. Maîtrise du temps ? Si nous savions nous y orienter… Tout parle ! C’est un présage paradoxal qui suspend encore et toujours l’homme à sa condition. Mais à quel moment du déroulement de l’histoire se trouvent les personnages ? Dans quelle direction le temps les mène ? La femme, aimée, désirée, rend le corps présent. Paradoxalement le seul lien qui relie l’homme à l’éternité, c’est elle. C’est à l’intérieur de son volcan que l’alchimie de la création a lieu. C’est d’elle que le temps s’arrache à l’éternité, le temps qui devient vie et conscience. Elle est l’ombre du mystère qu’elle ne dévoile pas. Et Méphisto dans tout cela ?


Sur scène : un spectacle, trois parties


Nous proposons un voyage dans le monde faustien en trois parties, ou trois pièces différentes.
Les scènes de ce spectacle sont un dialogue construit et enregistré, entre deux hommes, deux femmes, un spectre vidéographique.


La première partie librement inspirée de L’Invention de Morel d’Adolfo Bioy Casarès, d’assez courte durée, est sans texte et sans parole. Elle présente des marionnettes et des images vidéographiques au milieu des acteurs, et nous plonge dans l’ambiance étrange de L’Invention de Morel. La présence des acteurs qui occupent l’espace scénique comme des fantômes nous fait douter de leur réalité face aux spectres parfois plus réels que leur incarnation. Ici le mythe de Faust apparaît sous les traits du Docteur Morel, créateur d’une machine à rendre permanente l’illusion de la vie et de tous les désirs qui l’accompagnent.


La deuxième partie, composée à partir de plusieurs textes de Paul Valéry – extraits de Ego Scriptor et PPA, Poésie Perdue, Mon Faust et Monsieur Teste, aborde le sujet de la réalisation du Livre absolu.
Tous ces textes ont été choisis car tous racontent l’homme se matérialisant par les Lettres ; la pensée transcendant ainsi tous les obstacles de l’incarnation. Un questionnement se fait de plus en plus tenace : exister dans un temps limité n’est pas suffisant. Penser ne semble pas assez pour construire son éternité et réconcilier l’infini à ses propres limites. Dans une tentative finale, l’homme se projette, comme Faust, hors de lui-même, au-dessus de dieu, dans un espace et un temps fictionnels où la poésie et l’acte d’écrire seraient son règne d’éternité.


La troisième partie s’articule autour de la lettre de Madame Émilie Teste, extrait de Monsieur Teste de Paul Valéry.
Émilie Teste évoque dans sa lettre, en l’absence de son mari, le caractère particulier et l’état de ce dernier : l’expérimentation de création de soi-même par soi-même par l’acte de la pensée pure. On tend vers la figure de ces Faust modernes qui pour rejoindre l’éternité courent vers une disparition matérielle et la métempsychose de l’esprit.


En prenant pour exemple le Bunraku


Le Bunraku, théâtre japonais où les personnages sont représentés par de grandes marionnettes, est un art exemplaire. Il reste à mes yeux fascinant. Prenons-le comme modèle pour situer mon désir d’atteindre dans ce laboratoire, une mobilité parfaite, un langage minimaliste et sacré. Les moyens utilisés dans le Bunraku par des manipulateurs de marionnettes à vue, semblent dérisoires en comparaison de la technicité démonstrative de plus en plus développée dans nos théâtres occidentaux pour produire l’événement nécessaire à maintenir son public en haleine. L’effort et l’énergie d’un théâtre traditionnel comme le Bunraku sont concentrés sur la relation entre maître, disciple, marionnette et sacralisation de la représentation ; reste la tradition qui amène sur « la table » chacun de ces éléments comme un postulat fondateur. La reproduction d’un de ces spectacles où chaque élément dramatique est comme l’engrenage d’une montre, hausse le détail jusqu’au degré primordial du vide, devant lequel l’artiste (tel que nous l’entendons en occident) n’a pas de place pour paraître ; seuls existent au premier plan la perfection des mouvements des personnages en bois et le drame lui-même. La présence humaine qui en est le moteur se trouve donc expulsée du champ visuel symbolique comme une toile de fond : maître et disciples-manipulateurs sont les fidèles ouvriers de la tradition. De cette tension extrême naissent la poésie et le mystère d’un théâtre très ancien qui résiste aux cataclysmes, aux révolutions industrielles et technologiques, aux modes, et qui peut de même fonctionner sans devenir ennuyeux pour un public occidental. À l’exemple du Bunraku, minimalisme, discipline, sacralisation de la représentation peuvent devenir le processus d’une recherche. Cette discipline pourrait aussi maîtriser le domaine technique et ses résultats pour atteindre le même but. Comment transmuter l’identité technique d’un personnage automatisé ou d’une fantasmagorie virtuelle en illusion poétique de vie (le moteur n’étant plus le contact direct de la main ou de la respiration d’un manipulateur) ? Comment en effacer tout bavardage et parasitage technique ? Comment dégager de la poésie et du mystère de tels engins ? Comment participeront-ils à l’acte sacralisé de la représentation théâtrale ? Par conséquent, quel sera le degré de rejet entre un comédien et de tels objets ? Il sera nécessaire non seulement de développer une écriture dramatique appropriée, mais de résoudre ou de dépasser les obstacles techniques qui obstrueraient l’émergence d’une vision poétique. De plus il importera de dépasser les esthétiques que les images virtuelles semblent imposer (couleurs numériques, images saccadées, pixels lisibles). La recherche des solutions techniques pour harmoniser tout cet ensemble d’éléments est donc primordiale. Elle sera au service de la raison d’être dramaturgique des objets en question. Si j’ai pris pour modèle le Bunraku, c’est pour exprimer mon désir d’atteindre ce perfectionnisme sacré, élégant même, dans cette matière nouvelle qui me semble chargée de promesses.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.