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Du côté d'Alice

mise en scène Isabelle Starkier

: Note de mise en scène

1. « Ne soyez pas si pressée de croire tout ce qu'on vous raconte. »


Après avoir créé Scrooge et Quichotte, j’ai voulu poursuivre ces personnages de la littérature qui nous hantent depuis notre enfance et ne cessent de nous accompagner, dévoilant à chaque âge d’autres sens dans cette forêt fantastique de signes qui les environne. La fable est toujours double, voire triple ou quadruple : derrière l’histoire, il y a une autre histoire qui cache une autre histoire qui cache une autre histoire…


Alice est, d’une certaine façon, un contre-Quichotte, un Quichotte en quête de son identité féminine – celle toujours questionnée de la petite fille à l’adolescente, de la femme à la mère, de la ménopause à la vieillesse…


« L’oeuvre de Lewis Carroll a tout pour plaire au lecteur actuel (…) des mots splendides, insolites, ésotériques ; des grilles, des codes et décodages… un contenu psychanalytique profond, un formalisme logique et linguistique exemplaire. Et par-delà le plaisir actuel quelque chose d’autre, un jeu du sens et du non-sens… » Gilles Deleuze


2. « Ce que je dis trois fois est absolument vrai »


Alice passe toujours de l’autre côté du miroir : sur l’autre scène, celle où on est autre à soi-même… je veux dire le théâtre. Car quelle plus belle définition du signe au théâtre que ce pays où l’on s’émerveille de ce que le sujet de son énonciation devienne objet de son regard… C’est le « Le voici qui vient » de la tragédie antique. On nomme, et le personnage apparaît, créé par le Verbe. Ce qui implique également un délire visuel où la chose nommée devient image car, comme le dit Alice elle-même : « A quoi peut servir un livre sans images ni dialogues ?»


Alice est au pays du jeu – et du Je. Elle est dans l’enfance ludique que nous perpétuons au théâtre car c’est là et là surtout que se construit et se reconstruit, se modifie et se déforme, notre identité – comme la Chenille, le Chat ou Alice ellemême… «Soyez ce que vous voudriez avoir l'air d'être.» nous dit ce cher Lewis Carroll, foulant au pied la ratio cartésienne pour ouvrir la porte de nos théâtres intimes et imaginaires…


Ce roman d’introspection où la peur voisine avec le jeu, conte de l’identité qui flirte avec la folie, s’adresse ainsi à tous, petits ou grands à qui il conte SA propre fable, sa propre histoire à inventer à travers les signes et les signaux d’Alice. C’est une quête initiatique, un rêve éveillé qui repousse les limites du fantastique – entre réel et fantasme… C’est un conte à tiroirs qui dénonce l’irréalité et l’absurdité du monde qui nous entoure et rend tellement plus « vrai » celui de nos sensations, de notre ressenti, de nos secrets.


3. « …Elle essaya d'imaginer à quoi ressemble la flamme d'une bougie après qu'on l'a soufflée… »


Essayons donc de rendre en images la bougie soufflée, soit l’invisible… Alice nous confronte encore une fois à cet art de l’image-inaire et nous guide vers le pays des signes où les mots ne font pas forcément sens mais sont son et s’incarnent dans d’éphémères visions. J’ai donc voulu continuer ma recherche sur la transdisciplinarité : musique, image et mots. Nous avons voulu inventer un langage commun qui circule entre les chansons écrites par Amnon Beham, notre compositeur pianiste, le jeu mi parlé mi chanté de la comédienne Lucie Toulmond, et les dessins créés et projetés « en direct » de Jean-Pierre Benzekri.


Grâce aux dessins on suscite cette création visuelle qui travaille l’inconscient, traverse le rêve et semble naître de notre propre imaginaire pour se réaliser soudain. La musique d’Amnon se promène entre le grinçant et le drôle, l’émotion et le cynisme… un univers bien carrollien. Enfin, le travail d’objets et de costumes de notre plasticienne-costumière Anne Bothuon souligne l’esthétique entre réalité et onirisme.


4. « Il pensa qu’il voyait un éléphant qui s’exerçait au fifre / Il regarda une seconde fois et s’aperçut que c’était une lettre de sa femme. »


L’adaptation que je fais d’Alice au pays des merveilles est basée sur les grands moments du voyage initiatique : la chute ; les métamorphoses d’Alice ; le concile des animaux ; son duo avec la chenille ; la mauvaise mère et le cochon ; un thé de folie et enfin la partie de croquet…


Pour aborder les grands moments du récit fondateur, entre conscient et inconscient, fiction et réel, cocasserie et tragique, nous confrontons Alice créant son propre univers à ses créateurs : Lewis Carroll lui-même, dédoublé en Lewis et Carroll (hommage au miroir et à Tweedledee et Tweedledum), deux figures en habit noir et haut de forme, placées de chaque côté de l’espace d’Alice. Lewis et Carroll l’accompagnent, lui donnent la réplique, l’un par le dessin réalisé et projeté en direct, par des manipulations à vue ou des mises en image d’ombres chinoises, et l’autre par la musique au piano et autres instruments divers. Un gigantesque chapeau haut-de-forme manipulé à vue, monte et descend, offrant un espace d’apparition-disparition et de projections : chapeau de l’auteur mais aussi du magicien qu’est Lewis Carroll… et le théâtre.


Les chansons ou comptines « de travers » rythment les déplacements d’Alice d’un tableau à l’autre. Ces mélodies parodiques et grinçantes détournent le sens pour ouvrir sur la pure poésie musicale du son.


Chaque univers ou tableau a sa singularité plastique et musicale : passages très peu parlés mais où la voix et le dessin créent la magie des métamorphoses; passages où Alice joue tous les rôles accompagnée par des ombres chinoises); moments de pure comédie incarnée ; jeu entre le film et l’actrice…


Enchantement jubilatoire, magie scénique et musicale pour les enfants que nous sommes ou que nous sommes restés, Alice est aussi un parcours métaphysique, un voyage poétique et onirique pour les adultes que nous sommes ou que nous allons devenir…

Isabelle Starkier

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