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A Trois

+ d'infos sur le texte de Barry Hall traduit par Jean-Michel Desprats

: Propos du metteur en scène

Barry Hall


J'ai participé‚ en juin dernier au cycle de lectures "du monde entier". C'est à cette occasion que j'ai travaillé sur la pièce de Barry Hall. J'avais lu ce texte deux mois plus tôt, il n'était pas encore traduit mais déjà ses qualités théâtrales m'avaient plu. Je devais séjourner aux Etats-Unis pour proposer un stage à des étudiants sur l'œuvre de Jean Genet, j'ai décidé‚ de rester une semaine de plus pour rencontrer l'auteur de "A Trois" . J'avais les coordonnées de Barry , je lui ai téléphoné, nous avons convenu d'un rendez-vous . Je ne savais rien de lui. Comme je n'avais qu'une confiance limitée dans mon anglais et pour déjouer mon trac, j'avais préparé deux pages de questions sur sa pièce. Nous devions nous retrouver dans un bar du "district theatre" . Il m'attendait au comptoir devant un verre de vin blanc. Je l'ai assailli de questions pour commencer, puis, le vin aidant, la conversation s'est détendue. En fait, j'ai découvert qu'il était acteur, qu'il débarquait de son Texas natal (il est originaire du même "trou" que Bob Wilson près de Houston), qu'il avait commencé par écrire un recueil de poèmes, puis des pièces de théâtre, qu'il n'avait été joué qu'une fois, qu'il était lauréat d'une bourse à l'écriture accordée par la fondation Edward Albee, qu'il vivait de son métier de comédien (ce qui est une performance aux Etats-Unis). Notre conversation a débordé très vite le champ du théâtre , nous nous sommes revus plusieurs fois par la suite.



La pièce


Je l'ai interrogé sur l'étrangeté de son texte qui se présente sous la forme d'une partition de musique, sur son titre aussi, qui est en français dans la version originale. Par ce titre il voulait faire référence à un trio musical mais aussi au vaudeville. N'étant pas musicien lui même, l'envie de la partition lui était venue de sa pratique d'acteur. Il voulait essayer de proposer un théâtre où la notion de personnage disparaîtrait derrière la celle du chœur, où les situations ne seraient jamais trop clairement posées, entretenant un flou dans lequel l'imaginaire du spectateur-auditeur pourrait s'engouffrer. L'une des qualités essentielle de sa proposition est l'effet de reconnaissance. Les mots sont simples, ils ne décrivent rien, ils "recouvrent" des moments de la vie, de la vie amoureuse, nous entraînant à leur suite dans tous ces instants où le langage ne nous semble plus d'aucune aide et où nous balbutions notre malaise, notre douleur ou notre joie. C'est une écriture de l'avant ou de l'après, nous ne sommes pas au cœur, au centre mais autour. L'événement, la rencontre, la crise sont déjà passés ou n'ont pas encore eu lieu. C'est une petite musique de nos balbutiements, très drôle souvent, faite par ces mots passe-partout que l'on ne peut s'empêcher d'émettre pour faire du bruit, pour couvrir le silence. C'est cette utilisation du langage presque uniquement au niveau du son qui est incroyablement suggestive et qui nous renvoie à nous-mêmes. Les souvenirs remontent à la surface, nous comblons tous les blancs laissés par l'auteur.



La lecture


De retour à Paris, j'ai préparé une "mise en voix" de la pièce. Les règles du jeu étaient les mêmes pour tous, nous ne choisissions pas les acteurs que pour la plupart nous ne connaissions pas. Nous devions travailler vite, en une dizaine d'heures. J'ai rencontré Clara, Marc et Julien dans la salle où nous avions rendez-vous pour la première répétition. Ils ont été formidables, j'ai sans doute eu beaucoup de chance mais il y a eu une vraie et forte rencontre entre nous. Ce travail a été un vrai bonheur et avant même que nous ne présentions notre "lecture", je voulais leur proposer de continuer. Je ne savais pas où ni comment. La lecture a été très belle, les retours nombreux. Le projet était né.



Les cafés


J'aime les cafés et les bars, j'aime m'y retrouver pour travailler, pour des rendez-vous, ou simplement pour y flâner. Lieu de détente et de convivialité, c'est le lieu des rencontres par excellence. Depuis quelques années le théâtre a investi les cafés, j ai assisté à des spectacles de tous genres, de la performance au spectacle de marionnettes, en passant par le cabaret ou par la pièce que l'on pourrait voire sur une scène. Je trouve que le texte de Barry pouvait être soumis à ce traitement, par son humour, par sa brièveté, par les qualités de reconnaissance dont je parlais plus haut et aussi sa forme musicale qui nous permet d'aborder le texte sans scénographie ni éclairage, sans costumes, ne nous appuyant que sur la voix des acteurs. C'est une vraie écriture aussi, exigeante, qui fait du projet une gageure, celle de faire partager à des gens qui ne sont a priori pas des spectateurs de théâtre le plaisir d'une langue travaillée, construite, belle. Le café est passionnant en ce qu'il nous met en rapport avec des personnes qui peuvent ne rien avoir à faire avec le théâtre, qui sont autres. Il s'agit aussi pour moi de continuer à expérimenter le rapport avec le public après trois spectacles "hors les murs" . C'est dans la confrontation avec un tel public que nous pourrons avancer dans la connaissance de notre art.



La représentation


Je ne veux rien modifier à l'espace des cafés dans lesquels nous jouerons. Il n'y aura pas de décors et pas d'éclairages particuliers, nous ferons avec ce qu'il y aura. Les comédiens auront leurs vêtements, pas de costumes. Je souhaite faire naître la représentation du quotidien et qu'elle reste dans un endroit de passage entre fiction et réalité. Il y aura jeu bien sûr, toujours, mais mon envie est d'essayer de voir à partir de quel moment le théâtre a lieu. Quand pouvons nous dire que nous sommes dans le théâtre ? Les comédiens arrivent dans le bar, rien ne les distingue a priori des autres clients. Au début de la représentation ils montent chacun sur une chaise et commencent à jouer, la représentation se termine quand ils en descendent. Le public pourra s'être réuni pour l'occasion, informé à l'avance ou non, cela dépendra des lieux et de nos partenaires. Clara, Marc et Julien sont de jeunes acteurs qui, pour deux d'entre eux, sont encore au Conservatoire. Je ne me serais jamais lancé dans cette aventure sans l'énergie avec laquelle ils ont abordé le travail, leurs curiosités et leurs appétits.

Frédéric Fisbach

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