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Couverture de Juste la fin du monde (scénario)

Juste la fin du monde (scénario)


Juste la fin du monde (scénario) : Le mot du réalisateur

C’était en 2010 ou 2011, je ne me souviens plus. Mais peu de temps après J’ai tué ma mère, j’étais chez Anne Dorval, assis au comptoir de sa cuisine où nous atterrissons tout le temps pour parler, se retrouver, regarder des photos, ou ne rien dire, souvent. Elle me parlait alors d’une pièce extraordinaire qu’elle avait eu le bonheur d’interpréter aux alentours de l’an 2000.


Jamais, me disait-elle, n’avait-elle dit et joué des choses ainsi écrites et pensées, dans une langue si intensément particulière. Elle était convaincue qu’il me fallait absolument lire ce texte, qu’elle avait d’ailleurs conservé dans son bureau, tel qu’elle l’avait annoté dix ans plus tôt ; notes de jeux, positions de scène et autres détails inscrits dans la marge.


Je ramenai chez moi ce document imposant imprimé sur papier grand format. La lecture s’annonçait exigeante. Comme de fait, je n’eus pas le coup de foudre auquel Anne me destinait. Pour être honnête, je ressentis à l’inverse une sorte de désintérêt, et peut-être même d’aversion pour la langue. J’avais à l’égard de l’histoire et des personnages un blocage intellectuel qui m’empêchait d’aimer la pièce tant vantée par mon amie. J’étais sans doute trop pris par l’impatience d’un projet ou l’élaboration de ma prochaine coiffure pour ressentir la profondeur de cette première lecture diagonale. Je mis Juste la fin du monde de côté, et avec Anne, on n’en parla plus vraiment.


Après Mommy, quatre ans plus tard, je repensai au grand texte à la page couverture bleue rangé dans la bibliothèque du salon, sur la tablette la plus haute. Il était si grand qu’il dépassait largement des autres livres et documents entre lesquels il était fourré, la tête haute, comme s’il savait qu’on ne pouvait indéfiniment l’oublier.


Tôt cet été-là, je relus - ou lus, vraiment - Juste la fin du monde. Je sus vers la page 6 qu’il s’agirait de mon prochain film.


Mon premier en tant qu’homme. Je comprenais enfin les mots, les émotions, les silences, les hésitations, la nervosité, les imperfections troublantes des personnages de Jean-Luc Lagarce. À la décharge de la pièce, je ne pense pas avoir, à l’époque, essayé de la lire sérieusement. À ma décharge, je pense que, même en essayant, je n’aurais pas pu la comprendre.


Le temps fait bien les choses. Anne, comme toujours ou presque, avait raison.


Xavier Dolan, 2 avril 2016


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