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And Björk, of course

mise en scène Armel Roussel

: Entretien avec Armel Roussel

Comment as-tu découvert And Björk of course… ?


Par hasard, à cause de « L’Islande, côté théâtre ». Il y a deux ans, on m’a donné des pièces à lire et ce texte en faisait partie. Dès que je l’ai lu, j’ai dit c’est celui-là que je veux faire.


Qu’est-ce qui t’a séduit dans cette pièce ?


Cette pièce est drôle et il n’y en a pas beaucoup que je trouve drôle. Il est difficile de trouver une écriture dramatique qui développe un comique qui n’est pas gratuit, c’est-à-dire qui arrive en même temps à être drôle, sans être une écriture à effets, et à avoir un fond ; que ce comique soit une manière de regarder le monde, une petite population ou un microcosme, que ce la manière dont c’est regardé soit drôle parce que féroce.. . Ici ce que j’apprécie c’est que la stupidité permet de révéler des choses intelligentes et que la dramaturgie de la pièce ne réside pas dans ce qui est rédigé pour la bouche des personnages.
Cette pièce rencontre les thèmes habituels des travaux que je peux mener à savoir les différents masques sociaux, les différentes tenues , comment vivre en microcosme ? est-ce qu’on est libre ou pas ? la notion de déterminisme ou d’auto détermination… And Björk of course les aborde très méchamment . Cela me fait beaucoup rire.


Qu’est ce que le langage met en jeu ?


Thorvaldur Thorsteinsson montre des personnages archétypaux d’une Islande moyenne comme il y a une France moyenne, une Belgique moyenne ; Ce ne sont ni des gens très cons ni des gens très intelligents, ni des très riches ni des très pauvres.: Ingmar est instituteur, sa femme Hilda est femme au foyer, Stéphanie travaille à l’hôpital, Désiré est chauffeur de taxi. C’est monsieur et madame tout le monde, ni ultra favorisé ni défavorisé, la frange moyenne.. L’intérêt est de faire naître la monstruosité au cœur du moyen et pas au cœur de l’exception. Le langage est convenu, c’est celui de tous les jours et en cours de route on découvre ce qui le sous-tend et ce qu’il révèle. Après cette monstruosité est terriblement banalisée et amène un terrain de réflexion par le rire. Dans la pièce, le rire est politique. C’est un rire tantôt jaune, grinçant, voire franc. C’est un projet assez politique de mettre en scène cette pièce qui dit que la monstruosité c’est d’abord la médiocrité. Je pense à la pédophilie, le personnage qui porte ça n’est pas extraordinaire, il est ordinaire et en plus, il ose même le rire. C’est gonflé, osé, pernicieux dans le bon sens du terme. Finalement, cela ouvre l’esprit. Cela me fait rire parce que ça s’adresse à mon intelligence. de parler de choses qui ne sont pas spécialement drôles. Ce n’est pas Marc Dutroux, le méchant monstre de Charleroi. Le mot monstre est intéressant en lui-même ça vient du latin monstrare qui veut dire montrer, mettre en avant donc un monstre c’est quelqu’un qui est montré dans la société, c’est donc qu’il a un sens, le sens d’être et que notre société a besoin de monstre. C’est parce que notre société a besoin de monstre qu’écrire une comédie sur le sujet a un sens et que le rire devient politique.


Un stage de psychothérapie de groupe, la situation de base tient du cliché


La situation de base est convenue. Il y a besoin d’un cliché pour que du cliché puisse naître quelque chose, une surprise. Il y a plusieurs manières de voir le spectacle : ça peut paraître très rigolo, et puis il y a quelque chose qui vient et qui casse ce qui pourrait tenir d’une morale traditionnelle, ne serait-ce qu’en termes réflexifs même si il n’y a pas de point de vue, de résolution, d’évolution, pas de transformation, les personnages ont la sensation de vivre quelque chose d’extraordinaire alors que quand on les regarde, on a l’impression d’un délire qui ne les modifiera en rien. Les personnages ne sortiront pas de là ni plus libres ni plus révélés. Ils sont à la fin avec les mêmes tares qu’ils avaient au début.


Pour créer ce spectacle tu as choisi un temps très court de répétition : trois semaines


On a choisi de faire court, histoire de travailler sur quelque chose de plutôt pulsionnel, fait dans l’urgence, comme si il ne fallait pas trop réfléchir, comme si ce texte demandait de la spontanéité. Très concrètement, le bilan après 2 semaines et demi, c’est que c’est sans doute un très bon choix pour ce quoi à cela va nous mener mais si c’est un bon choix artistique, ce rapport au temps est un mauvais choix humain. Cela demande de ma part énormément de calcul dans la direction d’acteurs.


As-tu proposé des références aux comédiens pour travailler leurs personnages ?


Je n’ai proposé aucune référence si ce n’est la langue, rien d’extérieur à ce qu’est la mécanique de la pièce, le parcours des personnages dans la pièce tantôt dramaturgique parfois psychologique. Il n’y a pas d’apport extérieur car je voulais qu’ il n’y ait aucune influence de forme, aucune projection possible de la part de l’acteur qui soit extérieure au langage et au texte et que tout soit inventé d’après le langage. Je ne voulais pas qu’il y ait de fantasme sur qui ils sont, pas de costumes non plus, rien du tout, aucune forme visuelle ou de ressenti autre que celle qu’on peut puiser dans le texte dont on dispose mais aussi de l’expérience qu’on mène ensemble sur le temps très court qu’on passe ensemble avec des contraintes. Je voulais qu’il n’y ait rien


Thorvaldur Thorsteinsson qui a écrit cette pièce lors de workshops avec des acteurs, la présente à jouer comme une matière pour un happening textuel


Ce n’est pas facile comme pièce parce que ça demande à trouver le juste endroit : on n’est pas dans farce, ni dans la grosse comédie, c’est entre jeu non jeu. L’acteur doit avoir énormément d’habileté sur le plateau : il doit être ultra précis en ayant la sensation qu’il ne joue pas.
C’est un happening textuel où il faut faire exister des personnages sans qu’il y ait d’incarnation mais ça ne marche non plus sur la distanciation, pas plus sur comment le texte est rythmé et sur comment tu le fais résonner. Il y a un côté partition mais il ne faut pas que l’orchestre soit trop huilé. Il faut qu’on ait la sensation que le morceau s’invente dans la seconde. Il y a des mises en situation. Le style du personnage mute mais finit par le ramener au même point qu’au départ. Nous avons dû finir nous mêmes la traduction du texte d’après une version anglaise, version qui ne correspond pas tout à fait à la version islandaise. Nous travaillons sur une matière qui est un gruyère, qui est peut être un happening textuel mais qui pose beaucoup de questions et sur ces questions nous n’avons aucune source possible de réponses. Thorvaldur Thorsteinsson ne cherche pas tellement à écrire une bonne pièce avec des personnages bien dessinés mais s’interroge davantage sur comment on peut capter la vie par le biais du théâtre. Il y a des tableaux dans le spectacle quasiment dans le sens pictural du terme. Il y a une scène qui s’appelle lunch break et qui est beaucoup plus une scène de cinéma que de théâtre. À la base, il y avait des vidéos. Je les ai enlevées parce que le théâtre renvoie plus de réalité. Autant dans Pop ?, j’en avais besoin autant là je trouve qu’on arrive à faire quelque chose qui est vivant sur le plateau avec des moments de vie quasiment instantanés et que cela nous raconte tout le temps que nous sommes au théâtre.



Après Pop ? qui ne partait pas d’un texte de théâtre, And Björk of course… marque-t-il un retour au texte de théâtre ?


On a fait une lecture on s’est bien amusé, j’ai été relancé par Sylvie Somen et Michel Dezoteux. Je suis entre faire ce qui me plaît et la commande J’aime bien faire ce spectacle parce qu’il me fait travailler un peu autrement mais je ne le vis pas non plus comme quelque chose d’aussi personnel que d’autre spectacle que j’ai pu faire précédemment. Il y a des spectacles dans lesquels je m’engage intimement, je ne peux pas dire ça de And Björk of course… Pour moi, c’est une matière qui fait partie du passé de quelque chose et que j’achève.

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