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: Vice-Versa, une forme d’anticipation sociale...

"...Quand bien même ces réflexions rationelles pourraient aider Alan à sortir du labyrinthe psychologique dans lequel il s'est aventuré à dix heures moins dix, le voilà soudain bloqué tout net par un nouvel élan lubrique. Elan qui lui impose une vision de l'anatomie de Bull, baignant dans une lumière toute différente, bijou rose nacré tendrement érotique... Alan voit Bull posant nu dans l'ombre zébrée des stores vénitiens : un peu comme Richard Gere dans American Gigolo. Il pivote gracieusement sur une jambe, tel un discobol, présentant le creux de son genou au regard du voyeur muet. Son pubis numéro deux, enserré dans une toute petite culotte..."
Vice-Versa - Will Self


Le nom du collectif “ildi!eldi” sonne étrange, quelque chose d’un peu suisse peut-être, tendance montagnes et Heidi,mais il n’est en fait que la retranscription phonétique d’une situation de parole extrêmement fréquente : une personne raconte quelque chose à une autre, dans un bar ou dans un ascenseur, et cela donne : alors elle dit…, alors il dit…, alors elle dit…etc.
En linguistique, ces signes du discours portent un nom savant : impact théâtral du discours direct rapporté, parce que les « il dit » « elle dit » permettent de jouer en partie avec les ruptures prosodiques et les imitations de l’énonciation, comme pourrait le faire un acteur sur une scène. Il s’agit, en fait, autant de jouer la situation que de la raconter, ou plutôt de se situer dans l’entre-deux : un peu on joue, un peu on raconte. Un peu on accélère le rythme de la parole, un peu onmet le ton, un peu on prend la voix d’un autre.
Que Sophie Cattani, François Sabourin et Antoine Oppenheim, les trois membres du collectif “ildi!eldi” aient choisi un tel nom à leur compagnie n’est évidemment pas anodin. C’est déjà un engagement dans une certaine forme de théâtre : «On a vraiment le goût du jeu, du théâtre et de la langue. ildi!eldi c’est une façon d’annoncer qu’on va dire les choses plutôt que les montrer. On s’est rendu compte ensuite qu’il y avait un exercice de Brecht qui avait cette forme.
Les acteurs devaient raconter quelque chose avec ces il dit, elle dit. Cette façon de raconter, au final, crée une sorte de distanciation, un espace où s’engage la conscience, et moins l’affect. C’est vrai qu’on serait pas loin de ça en théorie. »


Ce que révèle leur première pièce, Vice-Versa, une adaptation d’un court texte de l’écrivain anglais Will Self, c’est aussi qu’ils ont le goût des situations à la fois ordinaires et cocasses, tout à fait le genre de situations qu’on pourrait se raconter entre soi. Sophie Cattani, à sa première lecture du texte deWill Self, a d’ailleurs eu le sentiment d’être face à une langue à dire, et que cette nouvelle de Self était un bon texte pour le théâtre. Une langue à dire c’est-à dire « une langue qu’on a envie de mâcher et de faire entendre, une langue qu’on a besoin de sortir de la lecture intime, une langue qu’on perçoit en situation avec quelqu’un qui la dit et quelqu’un qui l’écoute. » Le genre de langue parfaite pour un plateau.


L’autre trait qui attire le trio chez Will Self est la forme d’anticipation sociale qu’il donne à ses textes : en général un livre de Will Self commence par un violent déplacement du réel. Dans Les Grands Singes, par exemple, les humains se mettent à agir à l’imitation des singes bonobos.
Dans Vice-Versa, c’est une certaine cicatrice derrière un genou qui va changer le cours d’une vie. Ce déplacement du réel qui ouvre les vannes d’une science-fiction soft permet de s’engager dans une exploration en profondeur de l’humain, avec en même temps une bonne dose d’humour décalé et de truculence.

Stéphane Bouquet

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