: La Pièce
Ubu roi est une parodie burlesque sur le pouvoir, la prise de pouvoir, l’abus de
pouvoir, l’amour insensé du pouvoir total.
Boursouflé d’égoïsme, d’avidité, de bêtise et de lâcheté, le père Ubu ne recherche
en toute chose que son bénéfice et son bonheur personnel qui est autant que
possible un bonheur physique : manger plus, boire plus, prendre toute la place
disponible, priver les autres d’espace pour en avoir plus. Il se vautre dans le
pouvoir comme un cochon dans sa mare. Sa seule source d’inquiétude est que
quelqu’un puisse lui contester une part de ce pouvoir. Ce qui l’amène à tout
faire pour être de plus en plus puissant, c’est à dire omnipotent. Il en arrive
donc à cette pensée totalement absurde qui est l’aboutissement suprême et le
dernier axiome du potentat : Il est le seul être digne de vie. Tous les autres
ne sont plus que des marionnettes, des pantins à qui il dénie toute humanité.
C’est la version clownesque mais totalement exacte du dictateur.
Comme toujours dans l’univers clownesque, la part enfantine des désirs, des motivations et des angoisses est puissante, directement palpable. Ainsi l’attrait de la nourriture est omniprésent. Le rapport à l’argent et au pouvoir se confond avec le rapport à la nourriture. Ubu est gros et gras, et mère Ubu le convainc de renverser le trône pour pouvoir manger de l’andouille, avec le double sens accroché au mot andouille, les êtres humains qui entourent Ubu étant au mieux de la chair à canon, à hachoir, des êtres bons à passer à la boucherie c’est à dire pour Jarry à la machine à décerveler. Le pire est que le père Ubu comme beaucoup de dictateurs est contagieux, son égoïsme crasse gangrène et gagne rapidement une bonne partie du pays. Ubu roi, c’est aussi une joyeuse dénonciation de la lâcheté commune et de la bêtise générale.
Le génie de Jarry, c’est d’avoir dépassé les bornes de la bienséance et de la
vraisemblance pour aborder les rivages du grotesque et du surréalisme.
Car c’est par l’absurde et la dérision qu’il atteint son but de contestataire d’un
pouvoir ultra centralisé, corrupteur et complètement pourri. Toute ressemblance
avec quelque dirigeant éperdu de pouvoir où que ce soit sur cette planète ne
pourrait être bien entendu que tout à fait fortuite.
Ubu roi, calqué sur des thèmes et des schémas shakespeariens est une énorme
farce. Comme telle, elle doit faire rire, rire aux larmes, d’un rire dévastateur
et irrespectueux qui peut seul permettre de faire table rase, avant de pouvoir
peut-être retrouver quelques valeurs essentielles sur quoi rebâtir une
humanité digne de ce nom.
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