theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Toby ou le saut du chien »

Toby ou le saut du chien

mise en espace Frédéric Sonntag

: Intentions

Toby ou le saut du chien est une histoire de fantôme. L’histoire d’une star hantée par la vision d’une petite fille et qui sombre progressivement dans la folie (une folie non dénuée d’une part de lucidité, il va sans dire). Un mix étrange entre Hamlet et Opening Night en quelque sorte, l’histoire d’un naufrage qui comporte sa part de sublime.


Toby ou le saut du chien s’inspire d’un film de Federico Fellini : Toby Dammit, moyen-métrage daté de 1968 et qui fait partie d’un film à sketchs : Spirits of the Dead, contenant 3 films réalisés par 3 différents réalisateurs et inspirés chacun d’une nouvelle d’Edgar Poe.


Ma fascination personnelle pour le film de Fellini, inspiré de la nouvelle : Ne pariez jamais votre tête au diable, tient à plusieurs choses : la thématique de la hantise, du corps fan-tôme qui propulse le protagoniste sur une pente tragique, thématique déjà au cœur de certaines de mes pièces ; le regard ambigu que porte Fellini sur la société du spectacle, une fascination mêlée d’écœurement déjà à l’œuvre dans ces précédents films (La Dolce Vita, 8 1/2) et qui, sorte de synthèse contre-nature des points de vue de Warhol et de Debord, offre du Spectacle une vision trouble et complexe ; un monde qui porte en lui une dimension crépusculaire mais n’en regorge pas moins de fantaisie.


Toby ou le saut du chien ne conserve pratiquement pas d’éléments narratifs du film de Fellini, mais explore à sa façon chacune de ces pistes.


Toby ou le saut du chien est une traversée mentale. Dès les premiers tableaux, un trouble apparaît. Où sommes-nous ? Que voyons-nous ? Il semble que tous les plans de perception et de conscience (rêve, impression, perception, vision, fantasmes, part inconsciente) se retrouvent, comme s’il existait un certain plan où ils pouvaient coexister.


Là encore, on retrouve une piste fellinienne, largement développée par Lynch, d’une réalité composée à partir de différents niveaux de réalité. Le rêve ou le fantasme ou le souvenir n’ayant pas moins de « réalité » que le fait réel à proprement parler, dont le niveau de réalité est lui-même remis en cause. Se dessine alors un paysage mental.


La décision d’utiliser le « tableau » comme élément dramaturgique de base — et non la scène, ou la séquence — place délibérément la pièce dans une volonté davantage plas-tique que narrative. Même si nous suivons la continuité d’une action, l’itinéraire du héros, la cohérence ici est davantage assurée par l’agencement des voix, la déclinaison des motifs, que par le réel développement d’une histoire.



Toby ou le saut du chien est une pièce sur la perte de sujet, sur le sentiment tragique de la perte de soi. Une pièce qui, par l’intermédiaire de la figure de la star et de son autodestruction (on peut penser à Kurt Cobain ou Ian Curtis), questionne les notions d’identité (celle de sa définition, celle de ses limites) et de singularité.


Car la figure de la star est au cœur d’un paradoxe évident. Elle se présente apparemment comme le summum du concept d’individu : autonomie, sublimation du moi, singularité exacerbée, « la star » est celle ou celui qui est devenu « quelqu’un », qui est sorti de la foule anonyme, qui est « unique » : une sorte de sur-identité, une identité sur-affirmée ; la star est l’individu sublimé, elle est « icône ». Mais il apparaît très vite que la star ne se construit pas d’elle-même. Que l’identité de la star n’est pas une mais multiple et qu’elle ne lui appartient pas. Chacun se projette en elle. Chacun y voit ce qu’il veut y voir. Que la « star » n’a pas une identité « limitée » mais « étanche », « floue », et qu’elle n’est pas « unique » mais « multiple ».


« Ce n’est pas leur personnalité qui les fait s’imposer à nous, c’est nous qui les créons. C’est nous qui écrivons leur rôle. » dit J.G. Ballard à propos des figures de la célébrité.


Dès lors on passe d’une conception de l’identité unique, stable et autonome à une concep-tion multiple, « en devenir » et extérieure à soi. C’est le parcours tragique de Toby ou comment la reconquête du sujet passe par son abandon. Par l’expérience de sa perte, par l’acceptation du monde en soi et sa dissolution de soi dans le monde.

Frédéric Sonntag

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.