Théâtre à la campagne s’inspire des commencements de l’aventure des Copiaus, cette troupe formée des élèves comédiens que Jacques Copeau entraîna avec lui en Bourgogne dans l’idée d’y créer une École de Théâtre d’un genre nouveau.
En 1924, marqué par un échec artistique, et écœuré par l’état de la scène française, Copeau interrompt l’exploitation de son théâtre. Il réunit une communauté d’acteurs et d’élèves de l’Ecole du Vieux Colombier, avec lesquels il prend la direction de la Bourgogne. Son ambition est de fonder là un véritable laboratoire pédagogique et artistique, coupé des vicissitudes de la capitale et de l’Institution, et d’où pourra surgir la régénération profonde d’un Théâtre qu’il juge trop perverti. La vie de cette académie de fortune s’organise en totale autarcie. Les moyens manquent cruellement, les conditions matérielles s’avèrent épouvantables. L’École de théâtre devient école de vie, les apprentis comédiens assurent eux-mêmes l’intendance, l’aménagement, l’entretien, le fonctionnement de la maison. Au terme de violentes déconvenues, une Compagnie se forme, sillonnant sans relâche la région. Les Copiaus, nom que donnent à la troupe les paysans bourguignons, poursuivront leurs activités dans la région jusqu’en 1929.
Théâtre à la campagne puise à la source d’une expérience réelle, historique, mais sans volonté de reconstitution. Nous avons arrêté la pièce au moment de la plus grande catastrophe, juste avant que débutent les succès. L’expérience décrite invite elle-même à l’invention et à la création originale. Le ton est celui de la comédie et non de l’hagiographie.. Car il y a quelque chose de comique dans la situation de ces apprentis acteurs partis faire renaître le théâtre loin de tout, du comique dans le décalage entre l’élévation du projet artistique et la pauvreté des moyens dont ils disposent, dans leur rapport au Patron, véritable despote, présent-absent, qui leur enseigne la liberté. Et aussi Père absent que l’on ne cesse d’attendre.
Il y a là enfin une réflexion sur l’utopie, sur l’aspiration à rendre les choses meilleures, sur les règles que l’on se donne pour y parvenir, sur les obstacles, internes ou extérieurs, auxquels une telle volonté se heurte immanquablement.
Théâtre à la campagne est une fiction. Il n'est donc pas question pour nous d'opérer sur le mode de l'hommage révérencieux. L'aventure des Copiaus en Bourgogne, qu'on reconnaîtra sans qu'ils soient nommés, est peut-être plus exemplaire dans ses obstacles, ses échecs, ses difficultés matérielles, que dans ses succès.
Mais nous avons voulu nous essayer nous-mêmes à ce que la tentative de Copeau implique esthétiquement : un théâtre revendiquant la simplicité de ses moyens, un tréteau nu, le corps des acteurs rompu à toutes les disciplines, et le texte. Quitte à montrer que la simplicité et le dépouillement ne s’acquièrent pas en un jour. Il sera question bien sûr de « théâtre dans le théâtre ». Pas un théâtre sacralisé, mais un théâtre envisagé comme travail : où l’on essaie, où l’on rate, où l’on recommence, ...
Le travail des comédiens, à l’image de la formation suivie par les personnages, fera appel aux techniques de l’improvisation, du mime, de la danse, des masques, du chant, et comporte un important volet corporel et gymnique. C’est cette richesse de modes d’expression, courant sur toute la gamme de ce qu’un comédien peut expérimenter, maîtriser ou même caricaturer, qui constitue le fond de notre recherche et nourrit ce projet. Celui d’un théâtre ou l’art de l’acteur retrouve une place centrale.

David Lescot et Gilles Cohen