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The Humans (Les Humains)

+ d'infos sur le texte de Alexandre Singh
mise en scène Alexandre Singh

: Entretien avec Alexandre Singh

Propos recueillis par Renan Benyamina.

The Humans est une grande parabole sur la création du monde. Pouvez-vous nous en résumer les principaux ressorts et acteurs ?


Alexandre Singh : La pièce commence avant la création du monde. À la faveur d’une tempête, une sorte de Big Bang, une île a surgi du néant, divisée en deux territoires : un monde apollinien, d’une part, où règne Charles Ray, un père autoritaire, proche de Sarastro dans La Flûte enchantée ou de Prospero dans La Tempête ; un monde dionysiaque, d’autre part, gouverné par la reine N, le lapin Nesquick®. Chacun d’entre eux a un enfant : Pantalingua est la fille de N, Tophole le fils de Charles Ray. Ces deux pôles sont caractérisés par des langages visuels et des costumes différents, dans des teintes blanches et bleues pour le monde apollinien, des matières brunes, rouges et organiques pour le monde dionysiaque. Mais tous reçoivent des messages, relativement ésotériques et confus, d’une entité appelée Vox Dei. Les spectateurs comprennent rapidement qu’il s’agit probablement d’un simple chat. Le grand sujet qui occupe ces personnages est la création du monde, et plus précisément la création des êtres humains, présents jusqu’alors sous la forme de statues, réunies en chœur, qu’il s’agit d’animer. Pantalingua, anticipant les malheurs de l’humanité, désapprouve cette idée. Malgré ses efforts, les humains sont finalement transformés et découvrent qu’ils sont mortels. Ils deviennent hédonistes et développent une passion pour le pouvoir, le sexe, l’argent. Le personnage de Vernon, auparavant statue 31, les manipule, devient tyran et engage une révolte contre Charles Ray et l’autorité des parents. Tout cela ressemble en fin de compte à une simple histoire de conflits générationnels !


Charles Ray est sculpteur. Pourquoi cette fonction ?


Dans les croyances et dans les arts, Dieu est souvent décrit comme tel, depuis la figure de l’artisan ou de l’architecte chez Platon. Presque toutes les mythologies le mettent en scène formant les hommes et le reste de l’univers à partir d’argile, de boue, de poussière ou de pierre. Les différentes variations littéraires sur ce thème ont nourri ma recherche, du mythe de Pygmalion à l’histoire de Frankenstein, en passant par le récit de Pinocchio. La relation entre Gepetto et Pinocchio m’intéresse particulièrement. L’histoire de ces êtres qui, acquérant une âme, font l’épreuve de l’humanité, avec toutes les joies, les peines et les dangers conséquents, est particulièrement universelle. Elle structure notamment de nombreux films de Disney ou plus récemment de Pixar, comme Wall-E. Ce thème initiatique est aussi présent sous des formes plus réalistes dans toute la littérature, comme chez Proust chez qui les enfants semblent évoluer dans un monde merveilleux peuplé de dieux, les parents, qui édictent les structures morales, jusqu’à ce que leur faillibilité soit découverte.


Vous assumez une position de démiurge. Est-elle emblématique de votre vision de la création artistique ?


Mon projet est de fabriquer un monde qui opère comme un rêve ou un miroir, qui permet projections et spéculations. Pour moi, une bonne histoire repose sur l’opposition de deux ou trois forces, personnages ou idéologies. J’appréhende la création théâtrale un peu comme Pierre et le Loup, avec un instrument pour chaque personnage ou chaque ligne dramatique. Cela est sans doute lié à ma passion pour l’opéra. La dichotomie sur laquelle est fondée The Humans est celle qui structure aussi des œuvres comme La Flûte enchantée ou La Tempête. Il s’agit de jouer sur les oppositions masculin / féminin, rationnel / irrationnel, connaissance / folie, pour faire naître une forme inattendue.


Ne craignez-vous pas la surabondance de références et de matériaux ?


Je ne me suis en effet pas privé de jouer avec des références : commedia dell’arte, Woody Allen, théâtre grec, Molière, Mozart, Shakespeare, kabuki, etc. Ce spectacle est un peu comme un gâteau préparé avec tout ce que j’adore. Il est aussi intrinsèquement lié aux inspirations de la pièce, telles que le théâtre d’Aristophane qui est un art du trop : trop de blagues – souvent très vulgaires – trop de masques, trop de danse, trop de chants. J’aime passionnément ce théâtre fantasmagorique et excessif. Je revendique ce maximalisme visuel, narratif, musical et linguistique. Et même si ce n’est pas un théâtre très intellectuel, les niveaux de langage sont multiples et riches. J’imagine que c’est lié à mon tempérament : je me pose moins souvent la question « pourquoi faire cela ? » que « pourquoi ne pas le faire ? ». Comme dans mon premier livre, j’ai sans doute cédé à la tentation de mettre dans cette première pièce tout ce dont j’avais envie, tout ce que je pouvais. Si je suis écrasé par un bus demain, j’aurais mis le maximum dans The Humans.


À Aristophane, vous empruntez aussi la dérision, le comique.


En effet, si j’ai pris pour modèle le théâtre d’Aristophane, c’est en grande partie pour son humour et son positionnement par rapport au théâtre tragique d’Euripide. Leur relation me fait penser à celle qui pourrait unir Woody Allen et Fellini ou bien Bergman. Aristophane et Woody Allen ont tous les deux souffert d’un certain dénigrement à l’égard du comique et de la survalorisation tragique. Dans beaucoup d’œuvres de Woody Allen, on trouve des références à Fellini et Kierkegaard, que l’on ne trouvera pas forcément chez d’autres réalisateurs comiques, comme Will Ferrell par exemple. J’ai d’autre part recherché l’inspiration dans le dessin et la littérature satiriques, ainsi que dans tout ce que l’on peut qualifier d’humour scatologique, carnavalesque. Dans la pièce, le grotesque arrive principalement avec l’humanité, dont les traits sont très inspirés par le sculpteur et caricaturiste Honoré Daumier.


Comment se déroule votre processus de création ?


Je rassemble énormément de matière que je propose aux collaborateurs de la création. Les images et les références permettent de se mettre au diapason, de partager les visions, un esprit. Cela dit, j’ai déjà des idées très claires avant le travail au plateau. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une création collective, mais plutôt d’un travail de partage à partir d’inspirations. Par exemple, pour le chœur, j’avais en tête les danses eurythmiques de Rudolf Steiner, ces images de danseuses en tuniques, rassemblées en cercle dans des champs.


Vous avez exposé à Londres des œuvres liées à la pièce. La trame narrative et l’univers de The Humans sont-ils le support de différents projets de création ?


Certaines œuvres créées dans le cadre de la pièce sont en effet exposées. Il s’agit essentiellement de photos de personnages, de sculptures, de bronzes et de ce que j’appelle des « prototypes alpha » des accessoires de la pièce. Tous les accessoires sont des œuvres à part entière. Le prototype alpha en est une version unique, très travaillée. Cependant, la pièce de théâtre reste l’œuvre centrale, le lieu de la communication avec le public. La création de la pièce a donné lieu à une explosion d’idées, dont certaines se sont condensées en œuvres. C’est en partie possible parce que notre approche est plus visuelle, cinématographique que théâtrale : l’attention accordée à chaque objet est extrême. Par exemple, le personnage de Vernon joue à un moment donné avec un sachet de monnaie. Il sort une pièce et s’exclame : « Cette pièce qui fait tourner le monde, et bien c’est mon visage qui figure dessus.» En réalité, nous avons créé nos propres pièces de monnaie et il y a bien l’image de son masque dessus.


Opérez-vous une hiérarchie ou une différence entre vos pratiques de plasticien, d’auteur et de metteur en scène ?


La plupart des artistes que j’aime ont multiplié les modes d’expression ou alors ont eu plusieurs métiers. Woody Allen est comique, comédien, réalisateur, dramaturge. Tous les médias ont leurs principes, des leviers propres, des boutons que l’on peut presser. Apprendre un métier consiste à apprendre à connaître les différents boutons et leur usage. À force de pratique, on connaît la plupart des boutons disponibles. On n’est jamais obligé de tous les presser, mais on sait où ils sont. Dans n’importe quel métier, on peut apprendre les dix boutons principaux.

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