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Teenfactory


: Rencontre avec Attilio Sandro Palese

Propos recueillis par Elodie Loubens

Attilio Sandro Palese n'a pas cherché à écrire une adaptation ou à faire une réécriture historique du journal de Kurt Cobain. Il s'est inspiré de l'esprit, on y retrouve le groupe, les personnages, quelques situations. Il nous livre une « grande chanson », un « moment poétique ».


Il dit qu’il n'a pas de vocation d'écrivain, c'est sa deuxième pièce de théâtre. Il souhaite garder un esprit d'urgence et se corrige rarement, il nous « lance des taches de couleur ». Mais surtout, il se laisse la possibilité d'échouer.


Dans Les tondeuses d'Aberdeen ou Teenfactory! il ne faut pas s'attendre à voir l'histoire de Kurt Cobain, c'est une source d'inspiration. Le style d'écriture n'est pas documentaire, il s'agit plus d'un « feu d'artifice », il n'y a pas de linéarité de lieu, d'action.


Le langage parfois vulgaire qu'utilisent les jeunes n'est pas utilisé pour choquer, mais pour libérer les tensions.


Attilio Sandro Palese souhaite nous montrer le côté lumineux des adolescents.


Qu'est-ce que tu racontes, si ce n'est pas l'histoire de Nirvana?
Quand j'ai lu le journal de Kurt Cobain j'ai éprouvé une sensation. C'est comme si en lisant ce livre Kurt Cobain m'avait communiqué l'énergie dans laquelle il était. Je ne voulais pas simplement faire un documentaire sur le journal, ni sur la biographie du groupe, car je trouvais que je m'éloignais de cette énergie que j'avais ressentie. J'ai trouvé que c'était plus important pour moi de garder cette sensation, et à partir de là de créer mon propre univers, mon propre langage, ma propre histoire, qui bien sûr se mélange avec toutes mes lectures. Je souhaite plus communiquer ce que j'ai ressenti que ce que j'ai lu.


Et le groupe Nirvana dans ton histoire, ce pourrait être n'importe quel autre groupe? Bien que tu partes de son énergie?
Oui ça pourrait être n'importe qui...
Nirvana* dans la philosophie indienne est un état de bonheur éternel, de paix éternelle. Ils ont choisi ce nom de groupe, et j'avais envie de parler de ça dans l'écriture... ça peut toucher tout le monde le Nirvana, tout le monde essaie d'être heureux ou de trouver une sorte de sérénité qu'on puisse transporter partout.


Te sers-tu du discours de Nirvana?
Il y a chez ces jeunes une sorte de révolte qui s'exprime agressivement dans la musique car c'est de la musique rock, mais agressivement au sens « fort » et je me suis aperçu que dans ces groupes et pas seulement Nirvana, il y a un langage construit sur « quel héritage ils ont reçu de leurs parents et du monde dans lequel ils vivent ». Ils remettent ça en question avec une grande lucidité.
Ce n'est pas juste « allez vous faire foutre » (bien sûr il y a ça)... il y a une sorte de colère, une sorte de frustration qui s'exprime, mais c'est construit, ce n'est pas juste « déversé ». Comme ce sont des artistes, ils font de la musique (ils pourraient faire de la peinture), ils utilisent la forme pour l'exprimer et en cassent les codes: le cri peut être une chose insupportable ou belle. Mais ça va au-delà de la forme. C'est une matière brute qui s'exprime.


Est-ce que tu penses que ça s'adresse encore aux jeunes d'aujourd'hui?
Non.... parce que je pense que les jeunes maintenant sont très heureux, ils n'ont aucune frustration, il n'y a aucune autorité qui leur met des freins dans leurs vies, on les aide très bien, le monde dans lequel ils vivent est vraiment parfait, il n'y a pas de problèmes économiques, pas de peurs. Il y a un langage qui s'est installé entre les générations qui est vraiment plein d'amour, d'écoute...


Alors je vais reformuler ma question...
Non non, c'est ma réponse...


Est-ce que Nirvana représente encore quelque chose pour les jeunes d'aujourd'hui? Peuvent-ils s'identifier à ces jeunes là?
Si je suis honnête je vais répondre que je n'en sais rien... il faudrait qu'ils soient là...


A propos du spectacle...
C'est de la poésie, une énergie, un spectacle qui se veut sensuel, dans la sensation...


En quoi est-ce poétique?
Car ça ne respecte pas forcément des codes de la réalité...
A l'époque à l'école je lisais des textes avec une forme linéaire, et de temps en temps quelques poèmes… c'était nouveau pour moi de découvrir cette forme d'écriture, c'était mystérieux pour moi car il y avait des métaphores, des constructions de phrases qui ne correspondaient pas à ma façon de parler ou à ce que j'avais lu...
Dans mon texte je m'amuse à casser les codes; il y a des métaphores, des images plus que des explications ou des analyses de situations. Par exemple s'il y a un conflit, on me demande - « ça t'évoque quoi le conflit? » - Je réponds « Rouge » - Je ne vais pas entrer dans l'analyse.


Tu attends du spectateur qu'il développe son imaginaire?
… J'aimerais qu'il ait du plaisir et que ça l'amène dans cet état d'énergie que j'ai éprouvé.
Mais en fait, je n'attends rien du tout.

J'ai toujours une attente à chaque fois que je fais une mise en scène, c'est qu’et moi et ceux qui assistent au spectacle ressortent un peu plus libres, un peu plus libérés de quelque chose, de croyances, d'une routine...


Et la vulgarité dans le texte?
La vulgarité est une forme de survie. Les personnages s'expriment avec vulgarité car ils n'ont pas tous reçu une bonne éducation, ils ont vécu dans un monde dur où leurs parents parlaient comme ça. Donc ils sont dans la survie. Le langage « merde, chier » est une manière de créer un mur de résistance. Il y a de la peur, de la frustration, de l'angoisse pour l'avenir. C'est un cri de douleur car ils ne trouvent pas les mots. Ils n'ont pas le temps de trouver les mots pour exprimer ce qu'ils ressentent.
Prenons une image: je suis en train de parler correctement et tout d'un coup mon doigt se coince dans une porte. Alors qu'est-ce qui sort? … Eux c'est comme si leur âme était coincée dans une porte, tout le temps. La violence est moins liée au langage qu'à un état d'esprit.


Quels thèmes abordes-tu dans ton spectacle?
Je n'aborde aucun thème au départ. J'ai écrit ce texte dans l'urgence, je laisse venir ce qui vient, pour ne pas être conditionné par un but. Puis les thèmes apparaissent: drogue, musique, amour (basés sur l'histoire de Nirvana que j'ai bien sûr en tête).
C'est peut-être utopique mais pour moi une part d'inconscient s'est mêlée à l'écriture...


Et maintenant après l'écriture, es-tu capable d'en ressortir les grandes lignes?
C’est un chant...
C'est un « melting-pot » de colère, de douleur, de joie, il y a la drogue, la dépendance, la solitude, la joie de chanter, de danser dans une énergie pure.


Tu parles de la révolte, du conflit, des contradictions des jeunes, de la drogue...
Peut-être que la révolte est naturelle chez les adolescents, car une société a besoin de sang neuf. Mais telle qu'elle se manifeste elle se retourne contre l'individu.
Les jeunes pensent qu'ils vont « faire chier » les gens en se droguant, en s'autodétruisant (bien sûr il y a une douleur, une souffrance), mais c'est un manque de lucidité quelque part. Car pour moi ils jouent le rôle de la société, et ceux qui dérangent s'éliminent tout seul.
...
La jeunesse, je dis « jeune » en comparaison à « vieux », mais il n'y a pas d'âge. La jeunesse pour moi serait de tout le temps se mettre dans le neuf, dans l'ouverture d'esprit, de pouvoir se remettre tout le temps en question.


Un résumé?
La naissance d'un groupe avec quelques rencontres qu'il a faites dans sa vie, les femmes, les prises de drogues qu'on devine...
Quand je me rappelle de ma vie, ce sont des fragments qui me viennent. C'est ce qui ressort à travers le texte. C'est pour moi la meilleure manière de parler d'une vie, par fragments. Les ondes, les odeurs, les couleurs, il y a différentes façons de raconter quelque chose. Il faut garder une sensation.


C'est une ode à Nirvana et Kurt Cobain. Un poème chanté. Une écriture grunge.


Si je dois communiquer quelque chose aux jeunes c'est qu'ils découvrent leur espace poétique, créateur, qu'ils sont infinis, immenses. Une révolte peut être créative.

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