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mise en scène Cyril Teste

: Entretien avec Cyril Teste

Propos recueillis par Jean-François Perrier

Dès vos premières mises en scène, dans les années 2000, vous avez réalisé des spectacles où la vidéo et les ambiances sonores occupaient une place très importante. Qu’en est-il aujourd’hui ?


Cyril Teste : Au début, notre support premier était le téléviseur dont nous restituions, sur le plateau, les images de façon très brute. Puis, au fur et à mesure, nous avons appris à utiliser ces supports autrement. Nous avons vite considéré que la vidéo était, à sa source, une lumière et qu’elle constituait des espaces. La vidéo pouvait donc nous aider à créer une scénographie et à interroger la notion de temps. Nous sommes partis du cut-up, de la technique utilisée en permanence par la télévision pour, petit à petit, s’immerger de plus en plus fortement dans la contemplation. Nous sommes passés d’une critique sociale sur le rôle des images dans la société à une question plus poétique. Aujourd’hui, critiquer l’image par l’image n’a plus beaucoup d’intérêt pour moi, alors que je suis passionné par la possibilité de redonner à l’image une dimension poétique. L’avancée de la technologie ne palliera jamais le manque d’inventivité ou de créativité d’un artiste. S’il n’y a pas inventivité, la technologie n’est qu’un leurre, une prothèse. Comme nous fonctionnons en laboratoire, nous sommes en état de recherche permanente et sommes très au courant de tout ce qui se fait, tout en ayant une certitude : ce ne sont pas ces avancées technologiques qui vont apporter l’unique réponse à nos questions par rapport à la représentation. Nous sommes encore sensibles aux dispositifs analogiques et, si les technologies numériques nous intéressent fortement, ce n’est pas pour autant une fin en soi. C’est un peu la même chose avec la musique, puisque nous continuons à oeuvrer dans l’électroacoustique.


Dans la revendication artistique de vos projets, vous inscrivez votre nom, mais également celui d’un collectif : MxM. Que représente-t-il ?


C’est une histoire de onze ans maintenant, une histoire née du mode de financement de nos projets. Pendant longtemps, nous avons pratiqué l’autofinancement, l’autoproduction. L’idée était très simple : nous avions tous des activités extérieures et nous mettions une part de nos gains dans notre projet collectif. Nous nous sommes donc imposés une charte de travail, privilégiant l’horizontalité dans le processus de création. Il n’y a pas de structure pyramidale, avec un chef en haut ou un metteur en scène qui maîtriserait tout. Chez nous, chacun a une place très claire dans le collectif, qui fonctionne par cellules de réflexion. Il y a donc un metteur en scène, un créateur lumière, un compositeur, des constructeurs, un roboticien, des scénographes, des vidéastes, des programmeurs : toute une série d’individus spécialisés, qui mettent en commun leurs différents talents. Ce collectif est très protéiforme puisque chaque création fait appel à l’un ou l’autre de ses membres et pas nécessairement à l’ensemble. Nous sommes donc loin des collectifs des années 70, où tout le monde devait participer à tout. Cela étant, nous n’avons pas une vision paradisiaque du collectif car la circulation de la parole n’est jamais simple et il faut toujours se remettre en question pour laisser des espaces de création à chacun. En tant que metteur en scène, j’amorce un sujet, et par la suite, je suis là pour proposer et organiser une grammaire commune, pas pour imposer un projet.


Mais vous êtes toujours à l’origine des projets ?


Oui, mais pas pour l’ensemble du travail de MxM. Car le collectif, en dehors des créations théâtrales, dont j’ai principalement la charge, a également des projets satellites : installations, performances autour de la poésie sonore, mix électro, où je ne suis qu’un élément parmi d’autres.


En ce qui concerne les textes, vous vous êtes longtemps appuyé sur des textes d’auteurs, comme Sophocle, Falk Richter ou encore Patrick Bouvet. Aujourd’hui, depuis le spectacle Romances, vous écrivez vos textes, ce qui sera également le cas pour SUN, votre prochaine création.


Le texte n’est pas au centre de nos créations : c’est un outil, indispensable, parmi d’autres outils. Très honnêtement, très lucidement, je ne pense pas faire oeuvre d’écrivain en composant les textes de nos spectacles. En revanche, c’est un endroit qui me permet de prendre part au processus de création. Je considère mes textes comme des écritures de spectacle plus que comme des écritures littéraires. Je crois que le plateau doit proposer un point de vue sur la matière textuelle. Aujourd’hui, je prends un risque supplémentaire en proposant mes propres mots. Je dois beaucoup à Jean-Luc Godard qui, répondant à un critique enthousiaste considérant Le Mépris comme un chef-d’oeuvre, a dit : « Oui, mais le roman de Moravia est un peu faible. » Çela a été une révélation pour moi, c’est ce qui m’a permis de franchir le pas et d’écrire. Cela étant, j’écris volontairement des textes « incomplets », qui me permettent d’injecter de l’image sur le plateau : c’est une écriture scénographique. J’écris des morceaux de textes qui se modifient et s’organisent en fonction de ce qui se passe sur plateau. Sur Reset, qui est en quelque sorte la première partie d’un diptyque dont SUN sera la seconde partie, les enfants ont eux aussi écrit, à leur manière, sur le plateau, en faisant émerger des choses qui étaient en moi mais que j’avais sans doute perdues. Je n’ai donc fait que restituer dans le texte des moments étonnants au cours desquels je me suis moi-même surpris. Mais, je le dis à nouveau, je ne me sens pas écrivain, même si j’ai le désir d’écrire. J’ai le sentiment que lorsque j’écris, c’est un peu comme si je posais les fondations d’une maison et que j’attendais les autres membres du collectif pour la construire.


Pour votre prochaine création, SUN, vous partez d’un fait divers pour aller vers un conte poétique. Comment avez-vous travaillé ?


Nous partons effectivement d’un fait divers qui a fait le tour du monde : en 2009, deux enfants allemands de six et sept ans décident de partir en Afrique pour se marier. Ils s’aiment et entraînent dans leur sillage un troisième enfant. À première vue, on pourrait seulement s’interroger sur le pourquoi de cette décision, mais c’est une limite terrible que d’en rester à ce stade. Ce qui est plus passionnant, c’est de travailler sur un récit lumineux et sans failles, car ces enfants ont vécu cette expérience comme une évidence. Ils s’aiment, donc ils partent réussir leur histoire d’amour au soleil. Il ne s’agit pas même de l’atmosphère d’un conte, puisque, dans un conte, il y a souvent une morale. Nous sommes donc plus proches du poème visuel. Avec SUN, je voudrais juste poser la question du récit, du comment raconter aujourd’hui une histoire sur un plateau de théâtre, comment lutter contre le cynisme, la défiguration qui est à l’oeuvre dans les médias lorsqu’il s’agit de raconter. Je ne crois plus à la chronologie comme moyen de raconter une histoire, d’autant que l’histoire de ces enfants est très brève, une seule journée. Je voudrais pouvoir cristalliser en une heure le moment de cette prise de décision. Pour ce qui est de notre façon de travailler, elle commence par une phase de collecte : il nous faut réunir une documentation. Pour Reset qui abordait l’histoire d’un enfant confronté à la disparition de son père, à son effacement, nous avions questionné des enfants pour connaître leur utopie, leur relation au monde car, une fois devenus adultes, nous oublions un peu ce que c’est que d’être enfant. Nous pensons toujours qu’il faut écouter avant de parler, avant de s’exprimer sur le plateau. Ces documents sont un moyen pour amener le récit ailleurs. Pour SUN, nous opérons dans une démarche similaire à celle de Reset.


Y aura-t-il des interviews de ces enfants dans la pièce ?


Oui, je voudrais pouvoir les rencontrer, si leurs parents le permettent. On sait que ces deux enfants, qui se connaissent bien puisqu’ils vivent ensemble dans une famille recomposée, ont pris leur décision très vite. C’est le petit garçon qui a proposé à la petite fille d’aller se marier et c’est elle qui a proposé l’Afrique, parce qu’elle voulait du soleil. Je me demande pourquoi ces deux jeunes enfants voulaient se marier. On peut se poser la question de savoir ce que signifie le mariage pour des enfants de cet âge ? Est-ce un désir d’éternité ? Avec une question subsidiaire : de quel droit, nous, les adultes, pouvons-nous juger de ce qu’est l’amour pour des enfants ? Ils ne connaissent pas les Fragments du discours amoureux de Barthes… C’est là que va commencer le travail d’écoute, avec leurs réponses à ces questions. Est-ce seulement une belle robe, une cérémonie, une église ? Il ne faut jamais oublier qu’il y a une part sauvage et une part civilisée dans chaque enfant. On doit s’interroger ensuite sur le temps, ce temps si réduit entre le moment de la décision et la mise en oeuvre de la décision, à peine quelques heures entre l’idée et l’action. Il n’y a aucune inertie chez ces enfants : on se demande donc par quels états ils sont passés pendant ce court laps de temps. Enfin, il nous faudra sans doute soulever une dernière question : y a-t-il une normalité pour les enfants en dehors de celle qu’on veut leur inculquer ?


Avez-vous pensé à Roberto Zucco, qui lui aussi veut aller en Afrique et qui, lui aussi, recherche le soleil ?


On ne peut pas ne pas y penser. Les images de soleil couchant sur la savane m’impressionnent aussi. Cette luminosité que les enfants recherchent imprègne tout le récit. Car les enfants n’ont pas joué à partir, ils sont partis pour de vrai, prévoyant même des maillots de bain, des lunettes de soleil et un matelas gonflable ce qui a d’ailleurs provoqué leur arrestation. En plein hiver, avec ce type d’objets sous le bras, ils ne sont pas passés inaperçus et ont pu être facilement retrouvés. Tout cela est très simple, très innocent, très éblouissant.


Vous travaillez donc avec des enfants…


Avec trois enfants de neuf et onze ans. J’aime travailler avec eux, car ils se situent à un endroit de présence immédiate qui m’intéresse, même si je n’idéalise pas les enfants qui peuvent être très malins et parfois très bons comédiens ! Nous avons commencé par travailler sous la forme de laboratoires autour de la prise de conscience de l’image et sous la forme d’entretiens pour mettre à jour la perception qu’ils ont de cette aventure. C’est à partir de cela que j’ai commencé à écrire le texte et le spectacle.


Pour ce qui concerne l’écriture de l’image, comment se construit votre travail ?


Nous travaillons l’image en temps réel, en grande partie sur le plateau. Nous ne filmons que très peu hors du plateau. Pour nous, le temps de l’image ne peut pas être déconnecté de celui de la représentation. Selon moi, l’image ne doit pas créer l’illusion, mais s’inscrire dans une démarche assez proche de celle des peintres cubistes, qui questionnaient la perspective et la profondeur du champ. Je suis et je reste dans le bidimensionnel, même dans une période où la 3D est devenue banale. Mais cette position ne constitue pas pour autant un dogme : j’ai, par exemple, beaucoup de respect pour d’autres metteurs en scène ou compagnies qui travaillent autrement l’image filmée.


Votre caméra filme les acteurs qui jouent sur le plateau, mais, en même temps, ne vole-t-elle pas des images ?


La vidéo, c’est un peu le petit dernier qui arrive dans la famille du théâtre. Elle a tendance à attirer l’attention vers elle, alors qu’elle doit tenir compte de ses frères aînés. Elle doit se faire modeste et se mêler aux autres membres de la famille… L’image doit rester discrète, elle ne doit pas donner ou imposer des interprétations au spectateur en étant trop présente et trop pesante. En ce qui concerne les images que nous utilisons, je dois faire référence au cinéaste Raymond Depardon qui a toujours affirmé que sa caméra, lorsqu’il réalise des plans fixes dans ses documentaires, est un témoin qui se doit d’être toujours bien placé, au bon moment et au bon endroit. Avec la vidéo, l’idée est pour nous de construire un filet qui permet de capturer la bonne image, au moment où elle passe dans l’immédiat du présent. Alors oui, nous volons des images, mais comme un passant assis à une terrasse de café verrait par hasard quelque chose de fascinant. Lui aussi vole un moment du réel, qui va passer et qu’il ne conservera pas.


Tous vos spectacles utilisent des supports technologiques, mais ceux-ci ne sont pas toujours visibles sur le plateau. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?


À nos débuts, nous montrions la technique, toute la technique. Mais, comme je vous le disais, nous pensons maintenant que cette technique doit se faire plus discrète. Ces supports doivent se fondre dans tout ce que nous utilisons pour construire nos spectacles. Si vous regardez les progrès de la robotique, vous constaterez qu’on cache tous les éléments mécaniques qui font se mouvoir les robots, ce qui est très anti-brechtien puisque celui-ci cherchait à montrer les choses pour mieux les désamorcer. À force d’avoir tout désamorcé, nous sommes arrivés au terme de ce désossement presque enfantin. Nous préférons maintenant éviter de montrer le processus pour questionner, plus précisément, nos sentiments.

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