: Note d'intention
Danse de mort sensuelle et spectrale, la pièce est comme la version métaphysique d’un film de James Cagney, un film noir traversé par des fantasmes baroques et queer.
L’action se passe au 7e étage d’un hôtel de luxe, le Splendid’s, pris d’assaut par un groupe de sept gangsters. Ils ont avec eux en otage la fille d’un millionnaire, « accidentellement » étranglée par l’un d’eux. L’hôtel est cerné par la police qui hésite à intervenir pour ne pas mettre en danger la vie de l’héritière. Faire croire à la police que la jeune femme est toujours vivante est la seule carte à jouer pour repousser l’imminence de l’assaut. Afin de gagner du temps dans cette course fatale contre la mort, Johnny, un des gangsters, s’habille avec la robe de soirée de l’otage. Il se présente alors au balcon, brillant des mille feux des bijoux et parures de la défunte. Dans l’attente d’une mort programmée, la vie de ces hommes ne tient qu’à un fil : un simulacre qui se joue aux yeux du monde, et sous le regard fasciné d’un huitième homme, un flic prêt à trahir les siens, et qui les a déjà rejoints, au dernier étage du Splendid’s Hôtel.
SPLENDID’S, pièce de Jean Genet, inconnue jusqu’en 1993, a d’abord été envoyée par l’auteur à son agent américain. Il l’écrivait alors qu’il terminait son grand livre sur le monde carcéral, LE MIRACLE DE LA ROSE. Elle fut terminée en 1948, louée par Jean-Paul Sartre qui la considérait encore meilleure que LES BONNES, et par son agent et traducteur américain, Bernard Frechtman. Ne désirant pas, à ce moment-là, voir sa pièce mise en scène, Jean Genet, ne supportant plus les pressions de ses amis, déchira le manuscrit sous leurs yeux. Pourtant, une copie fut trouvée dans le coffre de son éditeur Marc Barbezat, et miraculeusement, la pièce survécut à son auteur.
L’envie de mettre en scène SPLENDID’S
est là depuis longtemps. Depuis
JULIUS CAESAR en 2008. C’était mon
quatrième spectacle aux États-Unis.
J’avais envie de continuer à travailler
avec cette équipe d’acteurs américains,
et les partenaires artistiques avec lesquels
ce spectacle a été conçu : le décorateur
Riccardo Hernandez, l’éclairagiste
Scott Zielinski. Depuis, avec eux, j’ai
mis en scène, entre autres, JAN KARKSI
et LA MOUETTE.
Il me semble qu’aujourd’hui SPLENDID’S
est le prolongement du travail
fait sur ces trois créations. Un certain
type de travail sur le texte, le corps,
l’espace. Et l’envie de poursuivre une
recherche esthétique entre théâtre et
cinéma, qui brouille les frontières entre
rêve et veille, réel et illusion. SPLENDID’S
est comme une mutation de certaines
scènes de JULIUS CAESAR. Les
gangsters de SPLENDID’S sont les descendants
des sénateurs, la même mélancolie,
la même fascination pour la mort,
la même élégance.
Genet rêve fort en écrivant la pièce, il
s’abandonne avec délectation à une
imagerie hollywoodienne, il fantasme
ses gangsters qu’il pare de glamour,
de sensualité, et d’une douceur vénéneuse.
Lui, le petit délinquant français
homosexuel et orphelin qui sort de prison
et s’engage en poésie, est comme
le policier de la pièce qui, fasciné par la
beauté et la danse de mort des bandits
américains, rêve de les rejoindre, de devenir
« comme eux », l’un des leurs. Et
les trahira. C’est la rencontre de Sirk et
Cagney vue par Genet. Ici le texte est
comme un flux continu, qui évoque les
enluminures médiévales, où les annonciations
s’inscrivent en lettres d’or et
tissent un fil d’un personnage à l’autre
du tableau. C’est le dernier souffle de
ces hommes qui respirent ensemble, à
l’unisson, un seul souffle qui les relie
tous. La parole se déploie et circule d’un
corps à l’autre. Une tête et huit bouches.
J’ai tout de suite pensé qu’elle devait
alors se jouer en anglais. Comme un film
sous-titré, où l’anglais devient la version
originale. Cette inversion lui donne
son sens. J’ai souvent mis en scène des
textes français dans des langues étrangères,
aux États-Unis mais aussi en
Italie, en Norvège ou en Islande, puis
présentés en France. Dans ce voyage de
la langue, quelque chose du texte se révélait,
le voyage devenait le processus
de création qui venait en éclairer une dimension
jusqu’alors enfouie. On entend
autrement. On crée ainsi une nouvelle
écoute. La pièce, en anglais, jouée par
des américains, ces acteurs si physiques
et habités, devient la matérialisation du
rêve de l’auteur, une apparition.
SPLENDID’S est une pièce qui mérite
bien son nom.
Arthur Nauzyciel
mars 2013
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