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Sous la falaise

mise en scène Nicolas Kerszenbaum

: Extraits du texte

EURYDICE. Hélicoptères Coquille Centre Hospitalier Cornouailles Quimper Cocon Intubée Ventilée Cocon
un jour
deux trois
une semaine
dix jours.


ORPHEE. Y a quoi à dire ? Tu veux entendre quoi ? Cette nuit ? OK. Cette nuit, les oiseaux, Eurydice, ces connards d'oiseaux, ils ont piaillé tellement fort, ils nous ont tous réveillés. Tous, mon grand-père, Père Noël et moi, réveillés. Oui, c'est tout. Et quoi ? J'ai mis les boules quiès, et j'ai pris un quart de lexo, et puis un deuxième. J'ai sombré comme une pierre. C'est pas grand-chose, hein. Tu reviens quand ? Mon grand-père t'embrasse.


EURYDICE. Douze jours
quinze
transportable Ambulance Nancy CHU Brabois
dix huit jours
trois semaines


ORPHEE. Ce matin, j'ai couru. Le long du canal, il y avait de la brume. Et puis à travers les cités pavillonnaires, les champs, à côté des vaches, j'ai couru, j'ai couru. Ton visage, j'y ai pensé, et il n'est pas venu. Ton visage, je m'en souviens mal. C'est nul : je ne sais plus à quoi tu ressembles.... Alors je m'accroche aux détails : la tête ronde, les cheveux noirs, les yeux ronds, les pommettes hautes. Mais ça ne forme pas un tout... C'est juste un puzzle... Face à toi, au CHU, ton visage redevient évident. Mais si je fais un pas dehors, tes traits s'estompent. Ils se pulvérisent, comme la brume de ce matin. La brume ne laisse aucune trace sur le paysage, seulement une légère rosée, le jour la dissipe vite. Le paysage reste inentamé. La brume passe, elle ne laisse aucune trace. Moi, tous les jours, depuis trois semaines, je suis auprès de toi. Et ton visage, toi, tu le reprends. Mais c'est quoi l'échange ? Ton visage, je le troque contre quoi ? Tu reviens quand ? Tu sais au moins si tu reviens ? Tu sais si tu reviens ? Tu ne sais même pas. Tu prends, tu ne donnes rien.


EURYDICE. Un mois
Sept semaines
Deux mois
Ton anniversaire
Trois mois


ORPHEE. Tu es fortiche. Tu tiens bien, tu tiens bien. Putain, tu tiens. Moi aussi je tiens bien. On verra de nous deux qui lâche le premier. Trois mois tous les jours à tes côtés. C'est pas mal, non, trois mois ? Tu sais que Père Noël s'est chopé un cancer ? Mon grand-père pense qu'il va pas durer. Il pousse des gémissements, on dirait la porte d'un donjon. Ce que dit mon grand-père. Il pense qu'il va l'achever. Mais il ne sait pas quand. Cette situation, Père Noël qui souffre et qui n'a aucune chance d'en réchapper, cette situation, tu en penses quoi, il faut finir, ou pas finir, il faut faire quoi ? On finit ? On finit pas ? Au fait, ton visage, aucune trace. Nulle part. Parti. Je t'embrasse.


EURYDICE. Quatre mois.
Cinq mois
Noël
Nouvel An
premier Janvier


ORPHEE. Tu sais que les infirmières du CHU, elles me prennent pour un saint ? Je viens te voir tous les jours. Ça les fascine. Ça les inspire. Ici, je suis une star. Elles m'ont invité pour leur nouvel an. Et tu veux savoir ? C'était bien. Tout le monde m'a fait boire, danser, tout le monde m'a embrassé. Il y avait peu de gars. Tout le monde m'a embrassé, et surtout cette fille, avec qui je suis rentrée, et que j'ai baisée. Et rebaisée. C'était sauvage, aussi bien qu'avec toi, peut-être mieux. Je ne me souviens plus. Et ce matin, encore, on a baisé. Toujours aussi bien. Ne t'en fais pas, elle et moi, on ne se reverra pas. Un nouvel an administratif, quoi. De la copine du Nouvel An, je me souviens parfaitement... De toi, de ton visage, toujours pas. Ca veut dire quoi ? Il est moche, cet hiver, à Nancy. Interminable et moche. Ça veut dire quoi, cette histoire de visage ? Ton visage qui ne revient pas hors de cette chambre. Père Noël va crever dans la semaine. Bouffi de morphine. Il va crever. On va s'envoler ! On va tous s'envoler. Toi, moi et Père Noël. On s'en rendra même pas compte ! On s'entendra même pas décoller ! On va être les rois du monde, pépère. Orphée et moi, les rois du monde ! Tu dégages quand de ton corps ? Ou tu y retournes quand ? Vis ou meurs. Mais magne. Et dis-moi. Allez, bisou. Oublie pas : je t'aime.

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