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Roméo et Juliette

mise en scène David Bobée

: Note d’intention

La création de ce spectacle étant prévue à l'automne 2012, il est encore un peu tôt pour dévoiler l'ensemble des désirs qui portent ce projet, certains ne se dévoileront qu'au moment de la traduction ou de la lecture dramaturgique de l'oeuvre, d'autres encore lors du travail au plateau avec les comédiens danseurs et acrobates. D'autres enfin resteront des secrets car la mise en scène ne peut vouloir résoudre une telle oeuvre mais bien en donner à lire la richesse poétique et dramatique en respectant ses mystères et ses zones d'ombres. Interroger sensiblement une oeuvre avec les outils d'aujourd'hui plutôt que de chercher des réponses, afin de respecter le spectateur pour ce qu'il est : un lecteur actif, un chercheur, un inventeur.


Après la mise en scène d'Hamlet en 2010 dans un espace de carrelage noir, une morgue, j'ai envie aujourd'hui de m'attaquer à cet autre monument du théâtre qu'est Roméo et Juliette. Visiter ces oeuvres comme on redécouvre aujourd'hui les mythes avec un mélange de curiosité, de respect et de désinvolture.


Créer Roméo et Juliette comme un miroir d'Hamlet, son inversion. Un espace lumineux viendra s'opposer à la noirceur d'Elseneur ; la chaleur des corps contre la froideur et la dureté de la morgue ; le feu des sentiments, les braises fumantes du carnage contre cette eau noire qui inondait le décor d'Hamlet, cette eau qui lave et fait pourrir, l'eau bue par Ophélie, l'eau du voyage en mer d'Hamlet et de ses compagnons, la vision d'un royaume à la dérive. Ici la purification se fera par le feu. Le feu des passions d'enfant, le soleil écrasant de Vérone, le feu des regards foudroyants, l'histoire des amants, les braises d'encens du temple du frère Laurent, le feu aux joues de ceux qui s'aiment et le feu au ventre produit d'un poison violent.


Roméo et Juliette, dans une scénographie toute métallique, cuivrée, dorée. Un temple en cuivre, en métal chaud ; ou plutôt l'impression d'un temple, d'un espace sacré : une église, une mosquée ou une synagogue, peu importe mais le lieu refuge des amoureux, la place de la spiritualité, de la confession de Juliette, du mariage du jeune couple puis de leur enterrement. Cet espace, par la richesse du m¬atériau, pourra tout aussi bien figurer un palais, Vérone dans la chaleur, une place publique ou l'intérieur de la maison des Capulet pour le bal.


Une alcôve de cuivre, au lointain, en place de l'autel, élément central, autour duquel se déploie un décor symétrique, pour une pièce qui n'est faite que de symétries et de jeux de miroir. Des portes à cour et jardin dont le style reste à définir mais qui devront tendre vers des arches orientales. Des murs de projecteurs, encastrés dans des plaques de cuivre, encadrant la scène pour éclairer la tragédie (l'accumulation de pars produit une incroyable densité de lumière, même à faible intensité, permet de jouer avec le rougeoiement des filaments des lampes et aussi de produire une très forte chaleur). Un jeu de 8 estrades de 60 cm de haut, mobiles, pouvant structurer les espaces des différentes scènes : contre les murs pour l'espace du palais, réunis en scène au centre pour le bal, alignés en bancs d'église pour le dénouement...


Pascal Collin proposera, après celle qu'il a réalisée pour Hamlet, une nouvelle traduction de Roméo et Juliette, pour se rapprocher au plus près de ce que cette oeuvre était dans les mains de Shakespeare : une écriture de faite pour le plateau, une langue inventée pour des comédiens en situation de jeu, en mouvement, toute en oralité. Une écriture qui laisse sa place aux vivants. Une nouvelle traduction donc, pour retrouver un peu de cette énergie là, un peu de ce geste là : ce sera une version physique et clairement érotique, mettant le corps au coeur de l'intrigue sans rien perdre de la puissance poétique et narrative de la pièce de Shakespeare.


La particularité des traductions de Pascal Collin réside d'abord dans sa volonté de retrouver l'impact de la langue de Shakespeare en son temps mais pour les oreilles d'un auditoire du XXIème siècle. Loin de toute tradition romantique ou d'une modernité forcée, il propose un langage efficace, clair et poétique. Ensuite sa démarche est originale car il sait écrire pour un projet précis et s'adapte aux envies de la mise en scène ; il a constamment à l'esprit la démarche dramaturgique, le projet scénographique et l'ensemble de la distribution. Ici, il articulera le lexique de sa traduction autour d'un certain érotisme : les corps, le désir, la chaleur. Etant lui même acteur, il sait écrire pour produire de la parole en situation, étant auteur, il sait ce qu'écriture de plateau - donc plastique, mobile, malléable - veut dire, étant enfin professeur d'Université, il défend généreusement l'idée de transmission, de partage des outils d'intelligence au plus grand nombre. Ainsi dans Hamlet, il a fourni tout au long des répétitions un travail d'explications ou parfois de repentir (au sens pictural) sur la traduction afin de mieux permettre la rencontre entre l'écriture de Shakespeare et la mise en scène, ou disons plutôt entre l'oeuvre et le public.


L'histoire des Capulet et des Montaigu portée par tous les outils créatifs de Rictus, compagnie au langage contemporain, s'exprimant par l'écriture de plateau, la pluridisciplinarité de ses interprètes, l'utilisation de nouvelles technologies. Ses outils, donc, au service de ce grand texte, au service d'une oeuvre qui se souhaite avant tout populaire et fédératrice : la lumière de Stéphane Babi Aubert, la vidéo de José Gherrak, la musique de Jean-Noël Françoise, les interactions technologiques, l'enchevêtrement des disciplines théâtrales, chorégraphiques et circassiennes.


L'envie première est là : partager cette grande et belle histoire avec un public large, en donner à lire toute sa complexité mais aussi sa grande simplicité, son évidence. Respecter le public pour ce qu'il est : riche parce que diversifié, aussi bien intellectuel que néophyte et lui proposer une oeuvre fédératrice. Toucher un public attiré par un titre évocateur et l'emmener en douceur vers un théâtre contemporain, mélangeant les genres, les techniques, vers un théâtre exigeant et véritablement d'aujourd'hui. Offrir une histoire passionnante et s'en servir comme d'une invitation à la pensée critique. Faire oeuvre d'éducation populaire, dans ce que cela a de plus noble et humble.


Et comme dans tout travail de Rictus et parce que le texte élisabéthain permet cela, le corps au centre ; le mouvement, le corps des amants, le corps des acteurs, des danseurs, des acrobates (la scène du balcon dans les airs, rêvons), les corps d'interprètes aux couleurs, aux formes, aux origines multiples.


Une communauté de 13 personnages dans leurs diversités, dans leur beauté. Des acteurs à l'image de nos sociétés contemporaines, belles de leur mixité, vont tenir les rôles de cette tragédie. Dans Hamlet, les minorités étaient présentes, évoluant sur le plateau en périphérie d'un noyau familial blanc, autour du rôle titre, ici, pour Roméo et Juliette ce sera l'inverse les Capulet comme les Montaigu seront interprétés par des acteurs d'origine arabe, Roméo comme Juliette, arabes ou d'origine tous les deux, pour éviter toute opposition grossière et inefficace, mais poser tout de même quelques questions.


Un fait divers : un jeune homme se fait passer à tabac en banlieue parisienne et est laissé pour mort par des jeunes d'une ville voisine, pour le crime d'avoir aimé une jeune fille de cette ville-ci. On ne peut ne pas penser à Roméo et Juliette. La tragédie, ici, ne se joue pas sur l'opposition des origines de ses protagonistes, sur la confrontation de leur religion ou de leur couleur de peau, pas d'opposition si simple, mais bel et bien dans l'idée même de clans. Une tragédie à l'endroit même du désoeuvrement de cette population déracinée, celle dite d'origine, enfants, petits enfants d'une immigration malmenée et humiliée depuis tant de générations qu'ils leur semblent difficile d'affirmer leur identité et l'endroit de leur honneur sans risquer de se tromper si cruellement.


Brûler les voitures et les écoles de son propre quartier plutôt que de s'en prendre à qui de droit. S'attaquer entre soi. S'entre-dévorer. Un peu de cela dans Roméo et Juliette, ce serait bien. Un peu de cette colère autophage pour aborder cette haine absurde, qui semble remonter à de nombreuses générations entre les Capulet et les Montaigu, afin que les personnages de l'intrigue comme les spectateurs du drame, puissent se réveiller de ce rêve Shakespearien avec un goût de brûlé et de gâchis dans la bouche comme ont dû se réveiller les habitants de Villiers le Bel au lendemain des émeutes.


Et donc, en filigrane de ces amours contrariées, la question de la religion, de l'intolérance. La volonté de faire résonner cette tragédie aujourd'hui : un crime d'honneur est toujours possible, même en France. Un mariage arrangé aujourd'hui, cela arrive encore, cette Italie post féodale imaginée par Shakespeare n'est pas si éloignée. Le texte est bien vivant et nécessaire aujourd'hui.


Alors Roméo et Juliette à la peau cuivrée, de confession " pas très catholique " et sur un plateau de théâtre cela semble juste et même nécessaire en pleine vague d'islamophobie pour raconter cette fugue adolescente, cette passion dévorante. Et la haine de l'autre, la pulsion de la vengeance, la vendetta, le règlement de compte, l'envie d'en découdre... Qu'est-ce qu'un clan aujourd'hui ? Une lutte pour un territoire ? L'identité est une question brûlante d'actualité, a-t-elle encore à voir avec le sang, la foi, l'origine, la couleur... avec la nationalité nous dit le gouvernement coupable de racisme d'Etat ? Cela veut dire quoi le bannissement de Roméo, son expulsion, sa reconduite ? L'ordre ? La révolte ? Et la paix bien trop tardive qui suit le carnage ?


Une tragédie cuivrée qui sentira l'encens et l'orange, qui se jouera sur les peaux des acteurs, les couleurs de peaux, dans la sueur, dans la chaleur des projecteurs, à la lueur de la flammes d'une torche, dans le miroitement doré de braises, dans des vapeurs d'encens se consumant, dans des senteurs épicées. Roméo et Juliette, l'histoire des amants malheureux qui, dans cette version-ci pourrait se tenir entre le drame Elisabéthain, le conte oriental et la tragédie contemporaine.

David Bobee

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