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mise en scène François Tanguy

: Entretien avec François Tanguy

Depuis plus de vingt ans vous travaillez à partir de montage de textes de nature différente : poésie, roman, écrit philosophique, correspondance… Jamais sur des textes dramatiques écrits pour la scène. Pourquoi ?


François Tanguy : Appelons ce mouvement rhapsodique. On y entendra des vocables, issus d’écrits ou ressurgissant des mémoires du théâtre, de la pensée, du poème, des proférations diverses ou des modes dialogiques, mais le fond, s’il y en a un, phréatique, remonte à la surface fragmentée, de ce qui se constitue à vue en tant qu’expérience scénique du voir et de l’écoute. La parole est action au présent, comme d’autres éléments physiques, de la “corporalité théâtrale”. On pourra évoquer l’activité des sons, de la musique, de la sensation visuelle, des dispositions physiques et mentales non moins productrices de sens si l’on considère que le sens forme un milieu de transformations par la médiation d’expériences sensibles et non l’écran projeté des ordonnances signifiantes. D’un autre côté, la figuration par le drame est une des formes d’agencement de l’activité psychique à se représenter des corps, des idées, des affects, des conflits, des “machinations”, où le corps collectif se pense et se dépense en émotions transmissibles. De ce “dramatisme”, nous en prélevons le prisme et si l’on peut dire le relevé des accessoires de la théâtralité tout autant comme arrière-champs qu’instruments du mouvement (Polonius ne s’est pas trouvé par hasard derrière le drap pour recevoir le coup de dague). Mais ce n’est plus un “il s’est passé”, mais un “se faisant”, dans l’entrelacs des actes et des perceptions délibérant “sur place”, le jeu des apparences et des consistances. Porter l’accent comme “acte en soi” sur la construction d’un “nerf optique”.


Comment naissent vos projets ?


De s’y engager sans projection présumée. Aller à la rencontre et, “faire mouvement”, tenter, tout au moins d’en dégager les conditions dans l’espace et le temps, sans métaphore d’un au-delà et encore moins d’une imagerie des “sources” ou d’un argumentaire des motivations. Il y en a assez pour passer le temps. Aller à la rencontre, c’est précisément ne pas projeter, avant d’engager le pas, ce que l’attraction des corps et des éléments, des traversées et des résonances, vont orienter, redistribuer dans les parcours, les sédiments, les collisions, les accidents, du “milieu” qui se forme. Ce qu’on appellerait le motif, et maintenir alors une vitesse en alerte, au besoin en cassant des “installations” qui figent le mouvement dans le passif, le figuratif repassé, une simulation déguisée des expédients spectaculaires. Parce qu’alors on bouche le “nerf optique” et l’on regarde passer la fiction dans la vitrine. Ce qu’on appelle le “faire spectacle”.


Vous avez aussi le désir de partager ce questionnement ?


Le questionnement, c’est d’une manière ou d’une autre ce qui nous arrive dès les premiers balbutiements de nos vies. On y met sans doute des formes, des règles, des temps et des lieux, mais qu’on le veuille ou non, c’est l’en commun le plus littéral ou disons littoral qui nous rassemble et nous confronte les uns aux autres aux choses, aux phénomènes, aux péripéties des affects, des identités et des déclinaisons multiples dont nous faisons sens. Mais le questionnement, même et surtout pour une bouchée de pain, s’il sourd de la condition humaine, peut ronger ou figer sa vitalité expressive s’il prend l’allure d’un commandement, d’une démonstration imposée, d’une posture, d’une subordination. Et dans la situation théâtrale qui suppose un geste de “monstration” impliquant des corps, des signes, des procédés formels, l’exposition à ce risque est notoire. Et bien, préférons aller aux champs, s’inviter dans les champs de part et d’autre, plutôt qu’exhiber des questions sur des présentoirs. Et, pour le dire autrement, les champs, cela se dit des corps, des voix, des langues, des luminosités, des sons, des graphies dans l’espace, des rythmes et des variations, des flux et des “subjectiles”, des mouvements et des présences. Par là peut-être, au gré et au gué des perceptions se tisse le mouvoir des sens.


Mais vous avez déserté les lieux traditionnels du théâtre ?


Nous ne désertons pas les théâtres. C’est bien au contraire une contribution à persévérer. C’est aussi cela “aller dans les champs”. Retisser des rapports entre le faire et le regard, l’écoute et le saisissement. Travailler à réinscrire cet “avoir lieu” dans le présent, l’effectuation de l’acte. Il y faut de l’espacement et de l’air entre les signes et les corps physiques. Chercher les respirations au lieu de les mimer. Creuser dans l’espace un nécessaire “renversement” de l’illusionnisme et de ses codes. Cela suppose l’implication dans un même champ partagé des deux rythmes action-perception et d’une interrogation sur ces dispositifs fictionnels. Il arrive que les scènes “classiques” ne se prêtent pas dans leur spatialité et leur “apparat” à telle possibilité, où l’espace est le site, l’établi de plain-pied à même le sol, de formation des “gestes” et des configurations du regard. Sans point de vue dominant et cependant oeuvrant à porter aux seuils, des lignes de discernement, vers ce qu’on appelle le prisme “des variables, des variations, des variétés”, leurs “puissances” de diffraction. Le plateau, communément désigné, s’il est le lieu propulseur, la structure invitante, requiert des éléments animés de ne pas se prendre ou se laisser prendre pour les “sujets” ou les objets d’une intrigue énigmatique, voire d’une performance, enclos dans ses “références” ou ses postures d’un vouloir signifier, à déceler au gré des commentaires. Mais bien au contraire, (et au risque de malmener des codes d’interprétation ou des schémas de compréhension), tendre à restituer l’aire de jeu des conduites sensibles à l’autonomie des spectateurs, des “regardants”.


Ricercar est-il un titre indicatif de votre démarche ?


L’intitulé indique un milieu polyphonique ou l’entrecroisement des voix, et de ce qu’on appelle musicalement les thèmes ou motifs, élabore un processus en transhumance. Une ligne de fugue. Mais ici, le mouvement n’en imite pas la forme appliquée au registre théâtral. De même que l’hybridité des matériaux ne cherche pas une fusion esthétique reproduisant par d’autres moyens tel “idéal expressif”. C’est avant tout mis en jeu, encore une fois, des instances orales, sonores, visuelles, où les enchâssements procèdent par poussées successives, reprises ; par à-coups, déplacements, fracturations, soulèvements, mobilités de l’oeil et de l’écoute. Chercher les seuils, les lignes d’erre, les noeuds de passage, et relancer le “motif”. À la rencontre ré-insufflée de ceux qu’on appellera les “intercesseurs” : poètes, musiciens, penseurs, voix anonymes. Chercher les fréquences propices aux circulations des résonances, rappelant de la pointe extrême du présent aux gestes peints dans les grottes, les plis et les ressorts de l’en commun des sens. Pour autant que l’on veuille et veille à maintenir ouvert le “nerf optique”, comme frayage de lumière, de rythmes, de condensations sensorielles, mémorantes et pensantes. En ricercar.


Propos recueillis par Jean-François Perrier en février 2008

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