: Entretien avec Amir Reza Koohestani
Comment avez-vous découvert cette pièce de Nadia Ross et Jacob Wren, et qu’est-ce qui a motivé votre désir de travailler sur ce texte ? Avez-vous vu la version mise en scène par les auteurs qui avait été créée eu kunstenFESTVALdesarts ? Comment avez vous procédé pour l’adapter en langue farsi – et à l’Iran d’aujourd’hui ?
Amir Reza Koohestani : « J’ai vu la version qu’en
ont donnée les auteurs au festival Theater der
Welt, à Bonn, en 2002. J’ai été fasciné par la
façon dont ils traitent le “temps”, je veux
dire, comment ils parviennent à dramatiser
une longue période de temps (105 années) en
seulement 80 minutes. Ils y sont
parfaitement arrivés. J’ai aussi aimé le travail
des acteurs, si proche de ce que j’ai l’habitude
de faire avec eux. Pourtant, honnêtement, à
l’époque, je ne pensais pas travailler sur cette
pièce. Quelques jours plus tard, à mon retour
à Shiraz, j’ai reçu une copie de la pièce,
envoyé par l’ITI (internationalen Theaterinstitut, Ndlr.) allemand. À la même période, un
théâtre municipal de Téhéran m’a demandé
de jouer une pièce contemporaine, sous
forme de lecture, au festival de “An
afternoon with Theatre”. C’est ainsi que j’ai
décidé de travailler sur Recent Experiences, et que,
par conséquent, il m’a fallu traduire ce texte.
J’ai demandé à un de mes amis, diplômé en
littérature anglaise, de m’aider, pour être sûr
de ne rien en perdre.
Au début, j’ai pensé à traduire mot à mot
pour obtenir une version purement persane
du texte, mais ensuite, au cours du processus
de traduction, j’ai eu l’impression que la
langue de la pièce, et ce que j’avais pu voir de
leurs travaux (Nadia Ross et Jacob Wren font partie de STO Union, collectif pluridisciplinaire canadien, Ndlr.),
ne convenait pas à notre langue et à notre
culture. Par exemple, en persan, nous avons
deux structures complètement différentes
pour les phrases conventionnelles et
informelles. Et dans la version originale, il y
avait quelque chose d’un réalisme magique
nord-américain, une dimension poétique et
réaliste en même temps qu’il est difficile de
rendre en persan, tout au moins sous forme
dialoguée. J’ai donc pris l’idée principale de
chaque scène dans la version des auteurs, l’ai
retravaillée pour écrire de nouvelles scènes à partir des originales. Prenons par exemple le
dialogue entre les amants, au début : j’ai
essayé de le transformer en dialogue
amoureux persan, ce qui est plutôt évident.
Néanmoins, j’ai une vision quelque peu
différente des personnages.
Personnellement, je préfère ne pas avoir de
scène ou de dialogue en particulier qui soit
directement surréaliste, et qui puisse donner
une idée gnostique ou religieuse, même si, je
le reconnais, je n’ai pas d’explication réaliste
pour les rendre plus objectifs. J’ai eu le
sentiment qu’il y avait des passages de ce
genre dans la version originale – par exemple,
lorsque l’une des deux jumelles est assassinée,
il y a cette scène qui la montre cherchant sa
famille, l’observant à travers les nuages ;
comme vous le verrez, j’ai réécrit cette scène
où elle décrit sa condition physique dans la
tombe. D’autres différences entre les
versions sont apparues du fait de notre
scénographie et de la mise en scène : par
exemple, nous avons besoin d’une pause pour
que l’un des acteurs se tourne et change son
siège, ce qui implique qu’il n’ait pas de texte à
dire, et nous a obligés à supprimer certaines
répliques, ou à en ajouter à d’autres
personnages.
La scénographie, justement, avec cette longue table, évoque celle de votre pièce Dance On Glasses : verriez-vous des points communs entre ces deux oeuvres – et entre Recent Experience et votre propre travail d’écriture ?
Amir Reza Koohestani : « Dans Dance On Glasses, on
a deux points, deux personnages sur scène,
aux deux extrémités d’une table de quatre
mètres, ce qui nous donne l’impression qu’à
un certain point ils pourraient exploser, et je
ne veux pas seulement dire physiquement,
mais aussi mentalement. Parce qu’ils ont tous
deux construit leur propre territoire, et qu’il
n’ont ni tendance, ni raison de bouger, ou
au moins se rapprocher de l’autre. En
d’autres termes, la scène semble
physiquement statique, mais il y a entre ces
deux personnages instables beaucoup
d’injures verbales, de violence non physique,
ce qui produit cette atmosphère de chaos. En
revanche, Recent Experiences est pour moi un
spectacle purement statique et stable, qui
n’est pas interrompu par des éclats de voix,
des mouvements brusques ou des actes
inattendus. Dans Recent Experiences, nous avons
travaillé sur la répétition d’un “destin”, qui
passe à travers différentes générations ; j’ai
donc décidé de partir, pour la scénograhie,
de l’idée de “cercle”. Mais à la place d’une
table ronde, j’utilise une table en longueur,
parce que je crois que cette histoire parle
d’une famille, et que ce sont les femmes de la
famille qui la racontent. Plutôt que de
s’asseoir autour d’une table ronde, elles font
le tour de la table de dîner, elles apparaissent
et disparaissent d’un côté ou de l’autre. Ainsi,
si, pour Dance On Glasses, nous avions travaillé
sur deux points séparés par une ligne, dans
Recent Experiences, on a le rectangle à l’intérieur
du cercle.
Mais on peut également trouver des points
communs entre ces pièces. Dans les deux cas,
les acteurs sont assis à une table. J’aime cette
image.
Je vois maintenant que cette image était la
principale chose qui me manquait dans Amid the Clouds. Lorsqu’un personnage parle en se
tenant debout, en marchant, ou même en
étant simplement assis, il ou elle a la
possibilité de soulager la tension de son corps
et le public doit regarder ailleurs, sans
réellement se focaliser ou se concentrer ;
alors que lorsqu’un personnage est assis à une
table, toute la tension s’accumule sur son
visage et ses mains. C’est l’image à la fois la
plus expressive et la plus minimale de l’être
humain.
Comme je l’ai dit, Recent Experiences a d’abord
été donné dans le cadre d’un festival de
lectures, mais les acteurs n’avaient pas le texte
en main ; ainsi, lorsqu’on nous a demandé de
le jouer également au théâtre, j’ai décidé de
ne rien changer. Je considère donc toujours
ce spectacle comme se situant à mi-chemin
entre la lecture de texte et la performance.
Car si nous n’avons pas la version imprimée
du texte, nous n’avons pas non plus les
images extérieures qui pourraient permettre
de parler de “performance”.
Quelles réactions a provoquées la création de ce spectacle à Téhéran ?
Amir Reza Koohestani : « Les représentations en Iran ont été magnifiques. J’avais peur que le public s’ennuie, mais ça n’a pas été le cas. Plus de 30 représentations à Téhéran ont affiché complet : impressionnant, pour une pièce aussi calme et a-dramatique (au bon sens du terme). Mais l’une des choses qui nous manquent en Europe, c’est le fait que les comédiens portent les mêmes vêtements que le public iranien : à Téhéran, au début du spectacle, on ne peut distinguer les acteurs des spectateurs – alors qu’en Europe, ils portent des habits différents. Mais bon, je continue d’aimer ça, parce que cela produit un autre contraste, vous savez ; le calendrier chrétien raconté par des musulmans, ce pourrait être ça, l’aspect politique de la pièce, non ? »
Propos recueillis par David Sanson
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