: Petite histoire de la pièce
Dubuisson Pauline : née en 1927. Assassine son amant Félix Bailly (étudiant en médecine), qui allait se marier, le 17/03/1951. Condamnée aux travaux forcés à perpétuité le 20/11/1953, libérée en 1959, se suicide le 22/09/1963. (QUID 2007)
PORTRAIT D’UNE FEMME : un titre comme celui d’un tableau,
et, à l’origine, comme matériau, ce fait divers des années
cinquante ou plus précisément les comptes rendus que
le chroniqueur judiciaire Jean-Marc Théolleyre a fait du
procès dans Le Monde en 1953. Cette année-là, Michel
Vinaver conserve chacune des éditions du journal relatant
l’événement, avec dans l’idée que cette histoire le
rattrapera un jour. Trente ans plus tard, l’écrivain en fait
le point de départ du tissage de sa pièce, et s’impose la
consigne d’intégrer aux dialogues tous les propos cités
dans cette série de reportages : ceux des juges, des
témoins, des avocats ou de l’accusée.
L’un des fils de l’intrigue serait donc l’ « avancée » discontinue
du procès. Mais toutes les citations extraites
des comptes rendus sont l’occasion pour l’auteur d’en
croquer les situations d’origine et de leur faire croiser
l’histoire principale. Le résultat en est un portrait éclaté
de Sophie Auzanneau, la Pauline Dubuisson de Michel
Vinaver, composé de fragments de son quotidien saisis
sur une période de six années environ et faisant irruption
sur la scène du tribunal.
Les répliques se succèdent et les situations s’emmêlent,
les plaidoiries des avocats semblant donner écho aux
propos de la logeuse, des amoureux ou de l’armurier. Les
multiples visages de Sophie Auzanneau surgissent tandis
que la machine judiciaire est en marche qui les broie
tous parce qu’il ne doit en rester qu’un : celui d’une
femme (insaisissable, « le diable au corps ») qui a froidement
et par intérêt assassiné son amant (un étudiant
en médecine de bonne famille). Un regard ironique se
pose sur la mécanique impitoyable du procès et nous
révèle ces fragments de vie comme les grains de sable
qui auraient pu l’enrayer.
A l’époque le public se déchaîne… — « Assis au parterre,
entassé sur les marches, debout dans les moindres
recoins et installé jusqu’aux tables des journalistes,
le public attend l’ouverture de cette audience, qu’il
espère à grand spectacle. Certains ont piétiné depuis le
matin devant les grilles du palais, d’autres sont allés
jusqu’à glisser 100 francs dans la main de l’huissier
pour avoir un droit d’entrée. Maintenant la salle est
pleine, bruissante, papotante, avec sa grande rumeur
énervée. Et devant le box encore vide trente photographes,
alignés comme un peloton d’exécution, attendent.
» ( Le Monde, samedi 19 novembre 1953) — et le
procureur réclame la peine capitale. Les surréalistes,
« face à la meute », prennent fait et cause pour la meurtrière,
dénonçant « l’état de sujétion dans lequel l’homme
persiste outrageusement à tenir la femme ». Et Pauline
Dubuisson, à l’issue du procès se serait inquiétée :
« Pourrai-je continuer mes études de médecine ? ».
Trente ans plus tard, Michel Vinaver esquisse par touches
successives, le magnifique portrait kaléidoscope
de cette femme, et met en doute la machine qui l’a
condamnée : qui jugeait-on cette année-là ? qui était
cette femme qui avait autant de visages que le procès
comptait de témoins ? devait-elle se confondre avec le
tableau monstrueux qu’en faisait l’accusation ? ellemême
aurait-elle su se définir ?
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