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Polices !

mise en scène Rachid Ouramdane

: Entretien avec Sonia Chiambretto, Jean-Baptiste Julien et Rachid Ouramdane

Février 2013

Le texte POLICES! dessine, de biais, un portrait de l'institution policière française. Nous ne sommes ni face à une forme pamphlétaire, ni face à un reportage ou un documentaire classique… Rachid Ouramdane, comment avez vous compris ce texte?


Rachid Ouramdane: POLICES! , selon moi, propose une variation poétique autour des forces de l'ordre dans laquelle interviennent un certain nombre de témoignages… Des témoignages de CRS, d'interpellés, d'anonymes… Le tout forme un millefeuille temporel qui nous fait voyager des années 1940 à aujourd'hui. Les gens que Sonia a rencontrés sont souvent issus de la diversité ethnique et culturelle. La plupart ont grandi dans un environnement où les forces de l'ordre interviennent au quotidien. L'imaginaire lié la police est pour eux nécessairement compliqué, a fortiori quand l'histoire que l'institution a entretenu avec ce type de population est entachée de façon violente. Mais l'enjeu n'est pas de savoir si les sentiments formulés par les différents témoins sur les instances de répression sont justes ou non. L'enjeu, c'est d'interroger l'imaginaire lié à la police. Avec ses fantasmes, ses contradictions, ses mythologies. Le texte de Sonia, selon moi, parle en fait de la présence psychologique de la police pour une minorité. C'est presque un travail de psychanalyse collective. Le sociologue Abdelmalek Sayad a d'ailleurs beaucoup travaillé cette question: comment vit-on l'autorité quelque part quand on vient d'ailleurs?


Le texte navigue entre plusieurs époques. Quels événements, Sonia Chiambretto, avez vous choisi de traiter en particulier?


Sonia Chiambretto: Nous naviguons, en effet, de l'époque actuelle à celle de la rafle du Vel' d'Hiv en passant par les événements du 17 octobre 1961, lorsque la police de l'époque s'est rendue responsable de la répression meurtrière d'une manifestation d'algériens organisée alors par le FLN. La figure du préfet Maurice Papon revient en leitmotiv puisqu'il a été complice de ces deux scandales historiques. Il faut rappeler qu'il a quand même pu faire plusieurs mandats après de tels crimes… C'était important pour moi de faire des allers-retours entre la réalité d'aujourd'hui et celle d'hier, de ne pas traiter les événements actuels comme des événements isolés, mais comme partie prenante d'une histoire globale. Je me suis aussi intéressée au traitement médiatique, à la propagande, aux rumeurs et à cet état de violence générale qui touche aussi les policiers eux-mêmes puisque les conditions de formation et d'exercice de leur travail sont extrêmement compliquées.


Vous compilez des textes administratifs, des archives du procès Papon, des mails, et des témoignages que vous avez recueillis puis recomposés. La notion de "document" est très importante dans votre travail…


SC: En écrivant POLICES!, j'ai eu en tête un film magnifique de Chris Marker intitulé Le fond de l’air est rouge. Ce film constitue un extraordinaire montage d’archives et cela m'a conforté dans mon envie de travailler à nouveau autour du document (l'essentiel de mes textes est basé sur ce principe) parce que le montage de documents est un travail d'écriture et un acte de création à part entière. Les textes issus de témoignages sont très stylisés. En fait, je pars du document brut pour le recréer.


On a envie de parler de "réécriture". Validez-vous ce terme?


SC: C'est un mot problématique "réécriture" parce qu'il peut laisser entendre qu'on tente d'améliorer, de corriger, de surenchérir, comme si on s'inscrivait "dans la lignée de". Or, je ne tente pas d' "améliorer" les formulaires administratifs ou les témoignages que je recueille.


RO: il s'agit presque plus un "palimpseste" parce que l'idée de disparition du document est intéressante pour comprendre les textes de Sonia… Je parlerais aussi d'un "filtre du document". Elle en souligne une couche, en révèle une dimension cachée. Son écriture raconte la réception de ce document. Elle écrit quelque chose en face de ce document.


Rachid, quelles avaient été vos premières intuitions scéniques à lecture de POLICES!?


RO: C'est la dimension polyphonique du texte qui m'a frappée. Les différents types de prises de paroles: des voix officielles, des pétitions, des écritures administratives, des effets de poésie sonores prononcées… J'ai eu l'envie d'écrire à partir de la rythmique de ce texte, de ses précipitations, des avalanches de mots qui peuvent accompagner une situation de tension. En premier lieu, j'ai donc pensé la scène davantage en terme d'espace que de voix.


Le texte ne sera pas interprété au sens traditionnel du terme, avec des acteurs qui prennent en charge des personnages...


RO: Non. Il s'agira davantage de l'installation d'un texte que d'une interprétation. De la mise en scène de voix plus que de la mise en scène de personnages. C'est à dire que POLICES! proposera certainement une succession de tableaux avec des textes tantôt enregistrés, tantôt pris en charge en live par des choristes chargés de chanter certains passages. Un des axes importants de notre recherche avec Jean-Baptiste Julien, qui signe la musique de la pièce, c'est de réfléchir en terme de dispositif de son, avec des voix enregistrées que l'on activerait en live sur scène. C'est un sillon que j'avais déjà commencé à creuser dans Superstars, Loin… ou Des témoins ordinaires. Dans Surface de réparation aussi: un boxeur déclenchait des documentaires vidéos en frappant sur un mur.


C'est-à-dire que l'usage des technologies du son sera central?


Jean-Baptiste Julien: La "technologie du son" en soi ne m'intéresse pas particulièrement mais ma préoccupation quand je travaille dans le contexte du spectacle vivant est toujours de rendre "visible" le sonore. D'où souvent le recours à une technique présente au plateau et qui s'assume comme telle. Dans le cas présent, le rapport à la fois au témoignage et au document d'archive, réel ou fictionné, m'a amené assez vite vers le magnétophone à bande. D'abord parce que le magnétophone en tant qu'appareil d'enregistrement renvoie à l'idée de déposition, de surveillance mais aussi à un historique de la poésie sonore qu'on sent présent dans l'écriture de Sonia. Ensuite parce que la bande magnétique elle-même est une "trace" et que la lecture du texte de Sonia m'a apporté beaucoup de visions fantomatiques. La bande, je crois, est un matériau assez puissant pour figurer les absents. Enfin, de façon plus concrète, je m'impose généralement un cahier des charges assez lourd avant de commencer un projet, pour ne pas partir dans toutes les directions à la fois. S'astreindre à ne travailler qu'avec de la bande magnétique m'amènera fatalement dans des endroits, pour moi tout du moins, inédits.


Peut-on parler de "mise en scène" pour POLICES! ?


RO: Pas si l'on entend "mise en scène" dans son acception historique et littéraire. Mais si l'on prend le sens littéral, oui. En tout cas, je ne fuis pas le terme s'il n'engage aucun rattachement disciplinaire. Je me donne les moyens d'interroger ce que peut être une mise en scène aujourd'hui, avec un texte qui n'est pas dramatique, des interprètes qui ne sont pas des acteurs et ne joueront pas à l'être et un important travail chorégraphique et plastique.

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