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Nuit avec ombres en couleurs

+ d'infos sur le texte de Paul Willems
mise en scène Frédéric Dussenne

: Paroles de metteur en scène

Je suis toujours resté fidèle à l’oeuvre de Willems. Elle a mis très tôt des mots sur des choses intimes, profondes. Elle a, conformément au projet fou de Rimbaud, « fixé des vertiges ».


Elle parle de nous. De ce que nous sommes, dans ce lieu-ci du monde. De ce que nous avons été. De ce que nous pourrions devenir.


Traversée de part en part par la déchirure - intime, culturelle, linguistique, politique ; peuplée de fantômes comme les cimetières ; ancrée dans la mémoire profonde, inconsciente ; marquée à jamais par le déchaînement de violence insensé qui a secoué l’Europe au milieu du siècle passé ; elle oppose désespérément la poésie à l’absurdité d’un monde où l’innocence est impitoyablement condamnée. Où les poètes sont enfermés dans les hôpitaux psychiatriques.


Respectueuse du mystère, elle ne considère pas la nature comme « naturelle » et nous invite à affronter nos minotaures. A regarder la violence en nous. A interroger ce qui, obscurément, la motive. A agir sur nous-mêmes pour agir sur le monde.


Jamais elle ne renonce à célébrer les éblouissements. Il n’y a pas d’ombre sans lumière… Jamais elle n’explique.
Elle ment, parfois, pour supporter l’insupportable.


Francophone de Flandre, Willems a toujours écrit et vécu aux frontières. Entre les langues, entre les peuples, entre le réel et l’imaginaire, entre les morts et les vivants, entre le ciel et l’eau, entre chien et loup… C’était un amoureux de la marge et des lieux interlopes. Des terrains vagues où les chats dialoguent avec leur ombre. Où les enfants meurent. Où les meurtriers pleurent. Lisières, berges, rivages…


Il nous rappelle avec force de quel aveuglement nous payons parfois nos moments d’insouciance dans une oeuvre qui tente désespérément de sauver l’Instant de sa dissolution inéluctable. Né poète dans un pays aphasique sans langue «nationale », il invente la sienne, truffée de néologismes, d’assonances, toujours musicale. Son théâtre est cosmopolite, ouvert, laïque, marqué par le surréalisme, incroyablement audacieux dans la forme. Récit déconstruit et dramatisation fragmentée s’y côtoient avec fluidité.
C’est un théâtre du silence, du non-dit, du hors champs. Jouant du balbutiement, du murmure, de la reprise, du hiatus, de l’erreur autant que du mot « juste ». Il obéit à l’injonction solennelle de Maeterlinck avec l’humour décalé de Magritte ou de Scutenaire.


Très au fait des structures de la dramaturgie européenne, Willems utilise les formes anciennes en les pervertissant. Ses pièces sont des mécaniques implacables mises au service d’une intime « recherche du temps perdu ». Son chef d’oeuvre - Les Miroirs d’Ostende - n’est-il pas un vaudeville dont les ressorts se grippent jusqu’à la tragédie ?


J’aimerai toujours Paul Willems. Pour les souvenirs indélébiles que je garde de lui comme autant de trésors.


Paul, je retourne une fois de plus, avec gravité et émotion, dans la maison de fougères. J’y retrouverai votre K(ch)at Astrov et vos ombres en couleurs. Je tenterai de faire résonner, sur notre petite scène, le cri étranglé de Vincent.


Bien à vous.

Frédéric Dussenne

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