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Nous étions jeunes alors

mise en scène Frédéric Sonntag

: Entretien avec Thomas Rathier, vidéaste

in "Journal de Théâtre Ouvert" n°22

Dans le spectacle Nous étions jeunes alors, la place de la vidéo est très importante. Les images sont traitées de plusieurs façons, tantôt oniriques ou abstraites, comme des projections mentales, tantôt comme un décor. Il y a aussi des images de films en noir et blanc, du texte projeté... Comment travaillez-vous avec Frédéric Sonntag ?


On travaille beaucoup ensemble avant les répétitions, je cherche des images, je les montre à Frédéric, et je développe mes recherches en fonction de ce qui l’intéresse. C’est important d’avoir de la matière prête quand on commence les répétitions, parce qu’on a peu de temps. On a monté Nous étions jeunes alors en un mois, et ça représente une heure quarante-cinq de spectacle. Multiplié par trois vidéo-projecteurs, ça fait beaucoup d’images... On n’a pas dormi beaucoup...


Est-ce que vous avez senti parfois que des choses que vous ameniez en vidéo influaient sur sa façon de voir le texte ? Est-ce qu’il y a eu des aller-retour entre l’image et le texte ?


Pas vraiment. Une fois que le texte est écrit, Frédéric le retravaille, mais plutôt en fonction de ce que font les acteurs. Quand le travail est lancé, j’essaye d’être en retrait avec la vidéo, même si elle est très présente. J’essaye plutôt de suivre les acteurs. J’ai mis en place pour ce spectacle-là un dispositif qui me permet de modifier en direct la vitesse de diffusion des images : elles sont préparées pour tomber à des moments précis du texte et pour que les acteurs n’aient pas à les suivre, mais que ce soit vraiment elles qui suivent les acteurs.


Quels sont les autres spectacles de théâtre auxquels vous avez participé comme vidéaste ?


J’ai commencé à faire de la vidéo avec des gens qui étaient avec moi au Conservatoire, avec qui on a monté un collectif, MXM, dont Cyril Teste est le metteur en scène. On a commencé par monter une adaptation d’Alice au pays des merveilles, on voulait que le monde dans lequel Alice tombe soit un monde d’images, le chat par exemple était dans la télé... Comme j’étais celui qui avait le plus de VHS, c’est moi qui me suis occupé de la vidéo...
Nos premiers spectacles étaient à base de magnétoscopes, de caméras branchées directement sur le vidéo-projecteur... On a fait trois spectacles ensemble, après j’ai travaillé avec Christophe Rauck, avec Frédéric, avec mon père qui est metteur en scène à Bordeaux, avec Vincent Macaigne.
Le travail avec Frédéric est très particulier. De tous, c’est celui qui m’ « appartient » le plus. On aime tous les deux réutiliser des images qui existent déjà. Le but n’est pas d'en fabriquer à tout prix. Dans le monologue, on s’est vraiment tout permis, dans l’illégalité la plus totale. Il doit y avoir cent cinquante extraits de films, de La Nuit du Chasseur à Zéro de conduite... C’est vraiment un endroit de recherche, où je peux me permettre d’essayer des choses, parce qu’il y a un gros travail de préparation en amont.


Est-ce que c’est parce que Frédéric est aussi l’auteur du texte ?


Oui, du coup, il a des directions assez nettes, mais ce qui est bien c’est qu’il les exprime de façon assez ouverte pour qu’on puisse s’en emparer. C’est une vraie collaboration. Pour Dans la zone intérieure, on réfléchit aux types d’images qu’on veut utiliser, au type de dispositif qu’on veut mettre en place, alors que le texte n’est pas encore terminé d’écrire. Les choses se nourrissent les unes les autres. Ce que j’aime aussi dans le travail de Frédéric, c’est la saturation des signes. Il y a des gens qui pensent qu’il y en a trop, moi c’est ce qui me plaît. C’est quelque chose que Frédéric fait même dans sa façon d’écrire : reprendre une idée, la reformuler, apporter un détail en plus. Il y a une complicité immédiate entre son rapport à l’écriture et mon rapport à l’image.


Dans les spectacles que vous voyez, il y a des pratiques de la vidéo dont vous vous sentez proche ? Est-ce que c’est quelque chose qui vous intéresse chez les autres ?


J’ai vraiment commencé à faire de la vidéo au théâtre avec une haine farouche de la vidéo au théâtre ! Il y a deux choses qui peuvent être un peu pénibles : le côté « hi-tech » pour « hi-tech » et le côté « toile peinte » un peu pauvre... J’aime bien cet outil quand il est assumé comme outil de théâtre, quand ça produit des appuis de jeu. Je pense que c’est parce que je suis comédien, mais je fais d’abord de la vidéo pour les gens qui sont sur le plateau. La première chose, c’est de voir comment les acteurs peuvent s’en emparer. Et d’essayer que ça s’intègre toujours à l’ensemble, que ça reste toujours du théâtre.
La première fois que je me suis dit que la vidéo au théâtre pouvait être vraiment très puissante, c’était dans la première scène du Jules César de Roméo Castellucci, où l’acteur prenait un tube de fibre optique qu’il se faisait passer dans le nez et dans la gorge. Il y avait derrière lui un écran circulaire où était projetée l’image de ses cordes vocales, en très gros plan. On le voyait dire son monologue, et on voyait en même temps l’endroit où la parole se fabriquait, le muscle de la parole. J’ai aussi adoré l’utilisation très pauvre qu’en fait Castorf, avec une caméra branchée en direct sur le plateau, mais qui permet aux acteurs de varier les niveaux de jeu. Il y a des gens qui ont une vraie réflexion sur cet outil-là, et c’est possible de faire du théâtre avec. Mais le théâtre n’a pas besoin de vidéo.


Et comme acteur, avec quels metteurs en scène travaillez-vous ?


Je vais jouer dans L’Idiot, avec Vincent Macaigne, au Théâtre de Chaillot, l’année prochaine. J’ai toujours réussi à alterner assez bien le jeu et la vidéo. Je viens de faire un Shakespeare qui m’a tenu six mois, et j’enchaîne avec de la vidéo. Parfois c’est avec les mêmes metteurs en scène que je joue et que je fais de la vidéo, j’ai même déjà fait les deux en même temps, mais je ne le referai plus, c’est très compliqué...
Et puis j’aime bien faire les régies, être en direct au moment du spectacle. Sur le dernier spectacle avec Frédéric, avec trois écrans à gérer simultanément, il y a un vrai trac, et une nécessité de jouer avec les autres que j’aime bien.


Donc, vous vous êtes mis à la vidéo seulement par le hasard des demandes et de la situation ?


J’avais quand même toujours en tête l’idée de faire du cinéma. Mais je n’aime pas le mode de production du cinéma. En fait j’aime le théâtre. La vidéo est une espèce de zone qui permet de faire du théâtre et de travailler l’image en même temps...
En plus je travaille tout seul, je fais tout du début à la fin. C’est intéressant d’ailleurs de voir comment les autres font ou ne font pas. Très souvent, les gens qui font de la vidéo au théâtre ne viennent pas du théâtre, mais du cinéma ou des arts plastiques ou du graphisme, et ils n’ont pas de connaissance vraiment technique du théâtre. Ils connaissent très bien leurs outils et sont capables de faire des choses très belles, mais ils sont incapables de tirer un câble.
Le fait de penser quelque chose, de le mettre en place, de le diffuser, de tenir la chaîne tout seul du début à la fin, je crois que ça change quand même les choses.


C’est impossible au cinéma...


Si, il y a Alain Cavalier qui a réussi ça, mais à quel prix. C’est très beau, mais très triste, l’état de solitude qui se dégage de ses films. Godard a aussi fait de petits films tout seul, mais de façon plus joyeuse. Toute la grammaire qu’il met en place dans ses Histoires du cinéma, le traitement de l’image, le fait de mélanger les sources, c’est quelque chose qui a beaucoup influencé mon travail. C’était quelque chose que j’avais envie de faire depuis longtemps. J’aime le côté « peinture » de la vidéo, d’autant que je dessine et que je peins. A un moment où il était difficile de continuer à peindre parce que je n’avais plus vraiment d’atelier, le travail avec Frédéric m’a permis de continuer une recherche dans le travail de la couleur, des références, du mélange entre les images et les mots. La plupart des choses que j’ai faites dans les images pour Frédéric sont assez proches de ce que je pouvais faire en peinture.



L’image sur un plateau a une présence très forte par rapport aux acteurs. L’équilibre ne doit pas être facile à trouver.


Le regard de Frédéric m’a permis de trouver une temporalité juste pour les images. On les a beaucoup étirées : il y a beaucoup d’images, mais elles restent longtemps, donc elles ne happent pas le regard en permanence. Une fois qu’on l’a vue, l’image bouge, mais c’est suffisamment lent pour que le regard, naturellement, revienne sur les acteurs. Ce n’est jamais stroboscopique.


Avec les acteurs, comment ça se passe ? Ils commencent à répéter alors que les images ne sont pas tout à fait terminées ?


Oui, je commence à envoyer des images, Frédéric répète avec les acteurs, et quand il arrête, il dit ce qu’il a à dire aux acteurs, à moi, aux musiciens, et puis on reprend.
Ça peut être très fatigant pour un acteur si la technique de la vidéo impose son temps, parce que le théâtre ce n’est pas du cinéma, qu’on ne peut pas dire aux acteurs de revenir dans une heure, le temps de régler la technique. Il faut que ça puisse aller très vite et que ça respecte le temps du théâtre qui est un temps particulier. Il faut être au service des acteurs, et être le plus attentif possible, parce que les énergies se perdent vite. On sent tout de suite les spectacles où l’équipe a passé plus de temps à régler les problèmes techniques qu’à faire du théâtre, il y a une maladresse, on sent que c’est inconfortable pour les acteurs. La vidéo, ça peut être très mort, très figeant, et ça peut vraiment empêcher que le théâtre arrive. C’est surtout ça qu’il faut préserver, la possibilité que le théâtre ait lieu.


Entretien réalisé par Mariette Navarro et Valérie Valade

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