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Accueil de « Ministre »

: Entretien croisé d’Ivan Grinberg et Damien Bouvet

I.G. : Les mots, ces dernières années, étaient presque complètement exclus du travail de Damien. Là, il avait l'envie de s’y frotter de nouveau. Partis de l'idée d'un bonhomme qui se retrouve à son corps défendant ministre du travail, nous lui fabriquons un texte, matériau dont la forme finale naîtra au cours des répétitions.


D.B. : C'est un puzzle, on crée l'image et la forme des pièces simultanément, tout en le faisant. Il y aura de la friction entre des moments de silence, où on va ressentir le corps, les mouvements, l'usure, et des moments de parole. Avec de grands écarts entre ces différents temps.


I.G. : Quand Damien dit « je n'ai pas de mots, je n'ai pas de textes », c'est vrai et faux. Ses spectacles ont toujours comporté du son, du borborygme, quelque chose qui va vers et qui est même d'avant la parole. C'est une parole matérielle, concrète, et son travail renvoie à des éléments qui ne sont pas d'ordre intellectuel mais liés à des sensations.


D.B. : J'ai l'impression que dans le théâtre où on n'utilise pas la parole, tout parle. Mais les mots ouvrent un autre espace. Leur arrivée vient d'une nécessité pour moi de déstabiliser les acquis, de me re-verticaliser. Auparavant, lorsque je jouais avec du texte je singeais un peu, ce n'était pas quelque chose qui m'appartenait véritablement. Peut-être est-il question aussi de ça dans le spectacle...


I.G. : Indirectement, le spectacle parle de ce que c'est d'avoir une voix, des voix. Le ministre est au sens étymologique celui qui sert. C'est donc un réceptacle intéressant pour donner chair à cette idée de quelqu'un qui prend la parole ou qui est pris de parole. Il y a un rapport entre le politique et l'expérience mystique qui est lié au don de soi : tu es le pouvoir mais tu ne l'es qu'en étant le serviteur de quelque chose de plus grand que toi. D'où, peut-être, la présence de descentes d'animaux dans le texte...


D.B. : Les animaux, c'est une construction de l'enfance : enfant, j'allais souvent dans une porcherie voisine voir les cochons de lait, avec leurs jolis cils et leur peau très douce. Lorsque tu es petit, tu fais un amalgame de tout ça et tu te dis que tu aurais pu être un animal, ou que tu l'es encore un peu. Après, les mots et comportements nous rappellent constamment notre appartenance au monde animal. Tout cela ça ne s'oublie pas... Et sur scène, tu n'en finis pas d'être tout à la fois.


I.G. : Le travail est à la fois la chose la plus humanisante et la plus déshumanisante. C'est le lieu de l'aliénation et le lieu de la constitution de l'identité. Entre ces deux choses-là il y a toute la place pour qu'est-ce que c'est que naître au monde ?. Et qu'est-ce qui nous différencie de la bête de somme... Cela ramène à des espaces travaillés par Damien depuis longtemps : les frontières entre celui qui parle et celui qui ne parle pas, le fou et le non fou, l'humain et l'animal.


D.B. : Je suis plus intéressé par la peinture, la sculpture, que par la littérature, le théâtre. Un peintre est seul à exprimer ce qu'il doit exprimer. Lorsqu'on est seul sur scène c'est pareil, on parle de solitude en touchant au multiple. Partant du corps, le mien, je fais avec, en étant à l'écoute de ce que j'ai et j'exprime le monde à travers mon corps. Ce qui me passionne c'est qu'il y ait tout dans un spectacle : mort, vie, dérisoire, désopilant, navrant...


Entretien paru en 2009 dans L’Acteur public, journal du festival Théâtre en mai.

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