Je savais qu’après « A quelques pas d’elle »
le dernier et troisième volet de la trilogie intimiste « Que mon nom soit un oui »
je savais que je m’orienterai vers un autre univers que le mien
je savais que j’avais été au bout d’une réflexion qui avait commencé il y a dix ans
j’avais été au bout de mon deuil, celui de ma mère,
et qu’une nouvelle page s’ouvrait
Tout devenait possible
J’avais envie de faire partie d’une compagnie
Que l’on m’offre un rôle mon Dieu
arrêter un moment la création
interpréter, simplement
Et puis, peut-être adapter
Deux romans étaient là qui m’attendaient sur mon bureau
peut-être était-ce le moment
Et puis elle m’a envoyé son manuscrit
Lis le et dis moi
J’avais peur comme chaque fois qu’on me remet un manuscrit
Peur de ne pas aimer, de ne pas trouver les mots pour dire sans blesser
Fin octobre 2006, je l’ai lu dans le train en allant vers Nancy.
Je l’ai lu d’une traite, l’expérience de cette femme juge des enfants
J’avais envie de hurler
De cas en cas , d’enfants en adolescents, en délinquants
La solitude de ce juge devant ces enfances bafouées, ballottées,
abandonnées à elles-mêmes,
ces décisions qui doivent se prendre
Pour le meilleur et pour le pire
Le poids de ces décisions
Ce métier solitaire qui vogue en plein coeur des déviances, des transformations,
des incohérences et des exigences de notre société
Cette humanité, ce doute qui transparaît entre les lignes,
même dans les termes les plus juridiques
Cette volonté de donner la parole à ces enfants, à ces adolescents,
ces futurs adultes m’a bouleversée
En revenant à Bruxelles, j’ai senti en moi le désir irrépressible
l’urgence de donner ma voix, mon corps à cette femme juge,
à ces êtres qu’elle rencontre.
De donner l’oralité à ce livre
Je savais que ce spectacle devait être
En fait, je ne quittais pas vraiment ma vie
je replongeais dans le vivant
un vivant emmuré d’indifférence, d’ignorance

Michèle Nguyen