En voulant paraître parfaite aux yeux des autres, la mère de Shéhérazade cultive un silence bienveillant qui couve en réalité une violence inouïe contre elle-même et contre sa fille.

Pour moi le mythe perfection, commence à l’école :
D’abord mes habits, que ma mère lavait et repassait sans cesse pour éradiquer la moindre tâche, le moindre pli. Mon corps toujours propre et parfumé, jusqu’au point où, l’idée de prendre une douche ressemblait plus à un passage au scanner, qu’au plaisir tout simple d’une toilette dans laquelle j’aurais pu me détendre et flâner à ma guise. Non !
L’eau chaude était comptée, et pour laver ses six enfants parfaitement, tout devait être programmé et synchronisé tel un laboratoire de haute technologie.
« La misère oui, mais la misère propre… »
Viennent ensuite les fameuses notes à l’école, qui vont de zéro à vingt.
« Tu as zéro, t’es nul, tu as vingt t’es génial. »
Enfin, comment, revenir à la maison avec un zéro quand la mère a tout fait pour que son enfant arrive dans des conditions parfaites ?
Bouche cousue ! voilà le remède.

« Zéro c’est l’enfer, vingt c’est le paradis entre les deux il n’y a pas de place. »

Dans cette quête éperdue de la perfection, Shéhérazade se fait engloutir dans un tourbillon qu’elle croit contrôler. Les personnages qui l’entourent, comme des forces surnaturelles, la poussent au bord du gouffre, l’obligeant à jouer mille et un rôles d’équilibriste. La survie de toute sa famille dépend de son comportement, à l’image de cette douce phrase de sa mère, qui raisonne éternellement dans sa tête : « Si tu savais tout ce que j’ai fait pour toi »
La marge d’erreur est interdite. Maintenant il s’agit d’avoir vingt sur vingt ou de disparaître à jamais avec les siens.

Nasser Djemaï