Comme des milliers de jeunes gens depuis la fin des années cinquante, j’ai commencé par m’intéresser à la Beat Generation grâce aux livres de Jack Kerouac. J’ai dévoré Sur la route. J’ai été fascinée par la figure mythique de Dean Moriarty, puis par la vie de celui qui inspira ce personnage à Kerouac, Neal Cassady. Je me suis plongée dans Howl et dans Kaddish. J’ai entendu les enregistrements de la voix d’Allen Ginsberg. Je me suis heurtée à la prose complexe de Burroughs, j’ai lu ses lettres, j’ai vu les films et les reportages où il apparaît, vieil homme déjà mythique.
Ensuite, et presque par hasard, j’ai découvert leurs femmes. Muses. Compagnes. Amies. Presque toutes artistes et restées injustement méconnues. Mortes trop jeunes. Ou seules rescapées du mouvement. J’ai d’abord lu Off the road, littéralement, « Au bord de la route » de Carolyn Cassady, puis Personnages secondaires de Joyce Johnson, Mémoires d’une beatnik et Recollections of my life as a woman (« Souvenirs de ma vie en tant que femme ») de Diane di Prima. Je me suis fait traduire les poèmes d’Elise Cowen. Je n’ai jamais trouvé les exemplaires de Nobody’s wife (« Femmes de personne ») et de You’ll be okay (« Ça va aller »).
Ces titres m’ont interpellée.
J’ai cherché à comprendre pourquoi ces femmes drôles, sensibles et fines, qui ont voulu échapper à leur condition de femmes en rejoignant ce grand mouvement d’émancipation des années 50, sont restées en marge alors que rien ne les y forçait. Pourquoi elles se sont cantonnées aux rôles de muses alors qu’elles auraient pu se développer en tant qu’artistes.
Ça m’a ramenée à moi, femme, artiste, et femme d’artiste. J’ai réalisé que cette problématique, être artiste, être femme, était toujours d’actualité.
Le Projet Beat confronte dans un récit morcelé le parcours de femmes artistes d’aujourd’hui avec celui de cinq femmes de la Beat Generation. Joyce Johnson, compagne de Kerouac au moment où est sorti Sur la route. Elise Cowen, jeune poète amoureuse d’Allen Ginsberg, qui s’est suicidée à 29 ans après de nombreux passages en hôpitaux psychiatriques. Carolyn Cassady, peintre, femme de Neal Cassady, qui l’a accompagné durant la majeure partie de sa vie, malgré ses infidélités et ses accès de folie. Luanne Henderson, la « Marylou » de Sur la route. Joan Vollmer, femme de Burroughs, tuée par son mari d’une balle dans la tête un soir où ils jouaient à Guillaume Tell.
Le Projet Beat est une création qui prend appui sur des extraits de textes de ces femmes, des interviews que j’ai réalisées en 2008 auprès de femmes artistes (dont les membres du projet), et les rêveries et réflexions que ça a provoqué chez moi.
Un personnage bien évidemment fictif, Laure, une comédienne vivant à Lyon, mariée à un artiste et tentant d’obtenir le permis de conduire, fait le lien entre ces différentes voix.
Le Projet Beat réunit neuf femmes artistes d’horizons différents. Toutes s’inscrivent dans des parcours pluridisciplinaires : si elles seront ici comédiennes, scénographe, costumière, réalisatrices son et lumière, elles sont également auteurs, metteurs en scène, plasticiennes, productrices, réalisatrices...
« Ain’t we got fun ! »

Laure Giappiconi

décembre 2008