: Le lieu de la représentation
par Gérard Espinosa, scénographe - septembre 2010
« Le plateau nu d’un théâtre » me dit Luc, le metteur en scène, lors de notre première séance de travail sur la scénographie du « Pays lointain ». Après avoir exploré ensemble le paysage onirique semé de cailloux bleus de « Derniers remords avant l’oubli », l’angoisse de la page blanche m’envahit. Le plateau nu d’un théâtre, c’est un scénographe au chômage.
Mon intervention va-t-elle se résumer à énumérer les éléments techniques d’une cage de
scène ? Vais-je repeindre les murs des théâtres pour qu’ils paraissent plus vrais que nature ?
Quelle sera ma part de rêve ?
Luc tente de me rassurer. Pas de décor, mais la scénographie de l’apparente nudité d’un
plateau, « une représentation de sa nudité ».
La page blanche devient de plus en plus blanche. Que veut-il ?
Un non-décor, où les éléments scénographiques ne seraient plus indispensables à la
représentation, à la manière de la non-danse, où les danseurs ne sont plus au centre de la
chorégraphie. Mais alors pourquoi un plateau de théâtre ? Pourquoi pas une banquise, où se
retrouveraient Louis, la Famille et les Morts autour d’une benne à ordure, squattée par des
pingouins.
Ou bien un décor naturaliste, dans le but de reproduire le plus fidèlement la réalité sur
scène. Mais quelle est la réalité d’un plateau sinon le plateau lui-même ?
La page blanche m’aveugle de sa blancheur !
On reprend tout à zéro.
« Le plateau nu d’un théâtre », non pas la mise en abyme du théâtre dans le théâtre
s’appuyant dans un souci de fausse modernité sur la représentation de la représentation, mais
bien l’espace scénique comme lieu de rencontre, lieu où se passe l’action. Ni théâtre à l’abandon
investi par une troupe de comédiens en mal de lieu de représentation, ni faux plateau reconstitué à
grand renfort de châssis et de tentures, mais bien l’endroit où nous sommes là et maintenant face
au public.
On sait déjà ce que l’on ne veut pas !
Une scénographie évolutive prendra la dimension de la cage de scène pour servir au plus
près l’histoire. En épousant les formes et les caractéristiques des différents plateaux, elle en fera
ressortir les particularités. Quelques éléments techniques rattachés dans l’inconscient collectif au
monde du théâtre appuieront le récit.
On commence à savoir ce que l’on veut.
Les comédiens construiront l’espace en mettant en place le grand rideau, en s’emparant des accessoires en attente dans un coin de la scène, en manipulant la machinerie et les projecteurs. Le spectre du chômage s’éloigne de ma tête pour menacer celles des machinistes !
Pas de hors champ, mais des coulisses permettant de focaliser sur un monologue, pas
d’image incrusté dans l’image du plateau, mais le plancher, le cintre et les murs du théâtre comme
formidable outil dénué de toute intention.
On commence à y voir plus clair.
Et le rêve dans tout ça ?
Chacun pourra s’y plonger en transposant les images renouvelées dans son univers propre.
Le théâtre n’est-il pas ce puissant levier qui permet au spectateur assis dans le noir de voir la
banquise grâce à un bout de tissu blanc posé sur un praticable et des pingouins à la place des
comédiens habillés en noir ?
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